20 mars 2003
Marcel Tambarin, « Walser contre le reste des intellectuels ou le paradoxe du soliloque », HAL-SHS : sciences politiques, ID : 10670/1.h0maxb
Sur le carrousel médiatique, les débats autour de Martin Walser se succèdent à en donner le tournis. C’est pourtant depuis vingt ans toujours le même mobile qui les déclenche : la révolte de Walser contre les éléments dominants de langage et de pensée, surtout en rapport avec la nation, l’histoire et le traitement du passé nazi. Sa charge contre les intellectuels a beau évoquer le règlement de comptes personnel d’un rénégat, elle relève néanmoins au fond bien plus d’une attaque contre les médias, car la critique de Walser vise les intellectuels en tant que « collaborateurs de l’opinion publique », en tant que « maîtres du discours », dont « l’usage inquisitorial de la langue » fait de véritables directeurs de conscience.Les réactions aux attaques de Walser montrent que beaucoup d’intellectuels ne le jugent plus digne d’obtenir satisfaction, voire lui dénient toute légitimité discursive. Ses arguments, pour autant qu’on en prenne note, sont souvent rabaissés à des propos de comptoir ou réduits à des énoncés simplistes. Les règles fondamentales d’une bonne, donc fielleuse polémique sont par conséquent respectées : procédés déloyaux, mépris et condescendance, insinuations et déformations. Il faut dire que Walser prête suffisamment le flanc à la critique puisqu’il prétend être reconnu comme intellectuel et écrivain, mais n’être lu et compris qu’en tant qu’écrivain, même lorsque’il tient un discours public à la Paulskirche – tout en refusant de surcroît de jouer les instances morales et de donner de leçons à nul autre que lui-même. Il faut donc se demander pour quelle raison Walser ne cesse, par la voix ou par la plume, de s’adresser à l’opinion publique. Pour satisfaire un penchant narcissique ? Par irresponsabilité d’artiste ? Ou malgré tout par une démarche préméditée?Walser a été soupçonné de vouloir se soustraire à la responsabilité issue de ses propos en entretenant la confusion entre monologue et parole adressée. Le fait que le discours de réception du Prix de la Paix des libraires allemands n’a été perçu, à gauche comme à droite, resp. à l’extrême-droite, qu’à travers les grilles de lecture des schémas de parole et de pensée respectifs donne toutefois à penser que Walser ne se trompait pas tant en polémiquant contre la ritualisation de la vie publique, qu’il prévoyait sans doute et même attendait ces réactions. Qu’il ait eu conscience de déclencher une violente polémique ne fait guère de doute – pas plus que le fait que Walser n’a cessé de dynamiser le discours public avec ses diatribes. Tout bien considéré, il s’avère que Walser n’est aucunement un anti-intellectuel, ni même un contre-intellectuel, mais tout simplement un « intellectuel à l’ancienne » adhérant aux « valeurs propres au champ littéraire » (Bourdieu).