L’anachronisme dans l’imaginaire préhistorique : enjeux épistémiques et idéologiques

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15 juillet 2022

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Emmanuel Boldrini, « L’anachronisme dans l’imaginaire préhistorique : enjeux épistémiques et idéologiques », Textes et contextes, ID : 10670/1.hw2cf4


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Le creusement de la chronologie de l’histoire de l’homme, et plus généralement du vivant, dans la seconde moitié du XIXe siècle ne s’est pas fait sans susciter certains vertiges. Vacillements intellectuels d’abord, devant l’immensité du temps qu’invite à contempler la préhistoire et qui rejette l’humain dans une histoire qui l’excède. Inquiétudes ontologiques ensuite, puisque la mise en perspective de l’homme dans le temps profond devait nécessairement impliquer la relativisation de son hégémonie. L’appropriation par un large public de la préhistoire s’est opérée en dépit de ces résistances, et peut-être grâce à la fascination que de telles problématiques ont pu exercer. Mais à l’examen des moyens mis en œuvre pour ménager un accès des publics à la préhistoire (ethno-comparatisme, procédés d’identification, reconduction des habitus contemporains…), nous gageons que l’anachronisme tient une part importante. Mieux, les court-circuitages chronologiques peuvent se donner à penser comme les conditions même de sa mise en circulation. En effet, il apparait que, dans le texte comme dans l’image, le télescopage des périodes est une constante dans l’imaginaire préhistorique et il nous est apparu nécessaire d’en observer les paramètres et les conditions pour mieux en comprendre les raisons. Nous pourrons, à cette occasion, nous interroger sur l’ampleur de leur application, de l’inscription dans le passé préhistorique de problématiques contemporaines à la mise à proximité d’espèces que des millions d’années séparent (dont celle du dinosaure et de l’homme apparaît comme la manifestation la plus spectaculaire). Cette présentation sera l’occasion d’observer selon quelles modalités ce geste de compression permet la saisie du temps profond, l’inscription du présent dans le passé, de l’actuel dans le révolu et facilite ainsi l’identification et l’insertion du lecteur.ice-observateur.ice dans une diégèse radicalement exotique. Le constat de la reconduction des habitus contemporains en contexte préhistorique nous invitera surtout à penser ces effets de dépliages comme manifestations des problématiques idéologiques qui travaillent souterrainement cet imaginaire. En effet, derrière ces décors de cavernes, de villages lacustres ou de forêts hostiles affleurent bien souvent des préoccupations propres au Second Empire ou à la IIIe République : légitimation de l’entreprise coloniale ou de la domination masculine, promotion du travail comme valeur millénaire, inquiétudes quant à la redéfinition des contours de l’humain… Attentif aux effets de résonnance qu’ils impliquent, nous nous proposons d’observer ces phénomènes d’anachronies au regard de l’épistémè dans laquelle ils s’insèrent : plutôt qu’un regard rétrospectif sur les éventuelles aberrations chronologiques, c’est bien d’une préhistoire délibérément contrefactuelle que nous voulons faire l’examen.

In the second half of the XIXth century, explorations of the chronology of the history of humanity, and more generally of the living world, gave historians a sense of vertigo. This first manifested as intellectual uncertainty in front of the immensity of the time that invites to contemplate prehistory and that confronts humans with a history that exceeds them. This then gave way to ontological preoccupations, since setting humanity in the perspective of deep time necessarily implied the relativization of its hegemony. The appropriation of prehistory by a large public took place in spite of these resistances, and perhaps thanks to the fascination that such problems could exert. But when we examine the means used to provide access to prehistory for the general public (ethno-comparatism, identification procedures, reconduction of contemporary habitus...), anachronism’s important role is confirmed. Better, chronological shortcuts can construed as the conditions of the very circulation of prehistorical imagery. Indeed, it appears that, in texts as well as in images, telescoping various periods is a recurring theme in the prehistoric imaginary. It thus seems necessary to observe the parameters and the conditions of such telescopings to better understand it. This paper questions the extent of their application, from inscribing contemporary problems into the prehistoric past to bringing together species actually separated by millions of years (the most spectacular demonstration of this being the juxtaposition of man and dinosaur). This paper will examine how this gesture of compression allows to capture the deep time, to inscribe the present into the past, and thus to facilitate the identification and the insertion of the reader-viewer in a radically exotic narrative. The analysis of the reconduction of the contemporary habitus in prehistoric context will question these effects of unfolding as manifestations of the ideological problems which are at work in this imaginative process. Indeed, behind cave paintings, lacustrine villages or hostile forests, preoccupations specific to the Second Empire or the Third Republic often emerge: the legitimization of the colonial enterprise or of the male domination, the promotion of work as millenary value, concerns about the biological redefinition of the human being... By paying attention to their various resonances, we will consider these anachonic phenomena in relation to the episteme to which they belong: rather than a retrospective look at possible chronological aberrations, it is indeed a deliberately counterfactual prehistory that we want to examine.

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