Organologie, musique et théologie dans la vision trinitaire d’Ignace deLoyola à Manrèse

Résumé Fr

La musique n’occupe quasiment aucune place dans les écrits d’Ignace de Loyola (1491-1556). Le mot lui-même ne figure même pas dans les « Exercices », le « Journal » ou le « Récit ». Le chant n’est mentionné que pour être exclu dans les « constitutions ». Exception notable à cette absence, une allégorie musicale de la Trinité est rapportée dans le « récit » autobiographique dicté au soir de sa vie à Louis Gonçalvez da Câmara de 1553 à 1555. Cette « élévation de l’esprit » se déroule à Manrèse en 1522, une période marquée par l’alternance des scrupules et des révélations, un bouillonnement intérieur : « Dieu se comportait avec lui de la même manière qu’un maître d’école se comporte avec un enfant : il l’enseignait ». Des 5 points de cet enseignement, c’est le premier qui nous intéresse ici : Primero. Tenía mucha devoción a la santísima Trinidad, y así hacía cada día oración a las tres personas distintamente. Y haciendo también a la santísima Trinidad, le venía un pensamiento, que cómo hacía 4 oraciones a la Trinidad?[…] se le empezó a elevar el entendimiento, como que vía la santísima Trinidad en figura de tres teclas, y esto con tantas lágrimas y tantos sollozos, que no se podía valer. »« tres teclas » est rendu en Français par « trois touches », voire « trois touches d’orgue ». Les commentaires portent sur l’accord ou l’harmonie au sein de la trinité qu’évoquerait l’orgue et par métonymie la musique. Plusieurs questions restent en suspens. Une question théologique : comment et pourquoi Ignace se pose-t-il le problème de la quadruple oraison ? Une question herméneutique : l’interprétation des trois touches comme une figure ou allégorie de la Trinité ? Une question organologique : de quelles touches et de quel instrument s’agit-il ? Une question musicologique : quel est le sens musical de l’harmonie et de l’accord à l’époque d’Ignace ? Nous défendons une interprétation organologique, non pas musicale, de la vision d’Ignace. Plutôt que de voir dans ces trois touches l’image de l’orgue et de l’harmonie, nous pensons qu’elle évoque le souvenir d’un manicordion ou clavicorde lié. En examinant la théologie et des images de la trinité dans le contexte de la devotio moderna, la facture des instruments à clavier et de leur musique dans l’Espagne de la fin du moyen-âge, nous tentons de démontrer la vraisemblance de l’hypothèse d’une allégorie organologique et visuelle et non d’une allégorie musicale et sonore.