7 janvier 2022
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Chayma Dellagi, « Sabirs et représentations de langues métissées dans la littérature coloniale : le cas de Kaddour Ben Nitram », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.iq8jzs
Ce travail interroge la place qu’occupe au sein de la littérature coloniale un corpus de textes écrits en « sabir ». Langue mêlée des villes coloniales qui rappelle la langue franque méditerranéenne qui l’avait précédée, elle prend diverses formes selon le locuteur, le lieu où elle est pratiquée – Alger et Tunis en sont deux centres où elle ne renvoie pas à la même réalité –, mais aussi selon qui la met en scène. Se trouvant à mi-chemin entre soi et l’autre, elle occupe un entre-deux dont la nature peut varier selon qu’il devient un lieu de rapprochement ou de distanciation. Le sabir se trouve donc fortement lié à la question de la représentation et les différents sorts qui lui sont faits en infléchissent le sens et en redéfinissent les enjeux. Dans une littérature coloniale qui s’écrit normalement en français, que traduit le parti pris de l’éclatement langagier ? Quelle place la littérature en sabir prétend-t-elle occuper à l’intérieur de ce corpus ? La littérature en sabir semble faire écho, à travers la question de la langue, à une réflexion plus large portant sur l’identité de la société coloniale, sa fascination pour les métissages culturels, et son désir de voir advenir un « peuple neuf ». Elle incarne un lieu médian et fantasmatique qui reflète les aspirations d’une génération d’écrivains de l’entre-deux, pris en étau entre leur rêve de créolité et leur position au sein de la configuration coloniale. Les diverses modalités représentatives du sabir traduisent la tension entre l’aspiration au métissage et la volonté d’imposer le français : sa forme même, oscillant entre langue de l’autre sujet de moquerie et langue revendiquée par les écrivains coloniaux comme langue poétique, démontre la position bancale de la société coloniale rêvant à une unité avec le lieu dont elle ne cesse, par sa position politique, de se distinguer. Le cas du sabir de Kaddour Ben Nitram, écrivain de la littérature coloniale en Tunisie, se révèle paradigmatique de la relégation de l’hybridité au domaine de la fiction.