2008
Jean Léonard Léonard et al., « Simplicité de la flexion mordve ? », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.iqw5yb
Les langues mordves, erzya et mokša, sont réputées parmi les spécialistes de langues ouraliennes pour la complexité de leurs paradigmes flexionnels, notamment la conjugaison objective définie. Le présent article tente de montrer qu'il est possible de réduire la complexité apparente de la flexion nominale et verbale mordve en répartissant les marques morphologiques entre les domaines lexicaux, ou thématiques, et les domaines affixaux, d'ordre proprement désinentiel. Après une application à la morphologie nominale et casuelle de cette segmentation redistribuée entre domaines flexionnels, la conjugaison objective définie est analysée à partir de deux jeux de formants morphologiques : d'une part des augments thématiques objectaux (-sama-, -ta-, -sa-/-si-, -sami-, -tadi-,-si- en erzya, (-sama-, -ťä-, -sa-/-si-, -sama-, -taďä-, -saj-/-si- en mokša), d'autre part des désinences subjectales ou agentives, issues de multiples sources : désinences d'impératif (-k), possessives (-ńk, ńek, etc.), de la conjugaison subjective, ou d'anciens participes (-ja, -ź). A ces classes et sous-classes de thèmes et de désinences s'ajoute la tendance au syncrétisme, liée à la catégorie du pluriel, qui se distribue de manière hautement prévisible dans les paradigmes des personnes « locales » (premières et deuxièmes personnes), tandis que les troisièmes personnes présentent le plus haut degré de marquage flexionnel. Ce redécoupage en domaines flexionnels objectaux et subjectaux rend mieux compte de l'ergonomie du système flexionnel des langues mordves que l'explication fondée sur la reconstruction diachronique (Serebrennikov, Bubrih), qui postule un état initial agglutinant et purement concaténatif de séquences Objet-Temps-Nombre-Sujet, alors qu'une analyse redistribuée des formants en synchronie incite à douter que le système soit passé d'un état hautement incrémentiel, ou agglutinant, à l'état flexionnel qui caractérise aujourd'hui aussi bien les langues mordves littéraires que les dialectes, dont les paradigmes ont été décrits de manière exhaustive par Lázló Keresztes (1999). En s'appuyant sur les données réunies par cet auteur et sur une réanalyse des domaines flexionnels de ce paradigme, un modèle alternatif de reconstruction du proto-mordve est proposé, qui tient davantage compte de l'ergonomie de la conjugaison et des stratégies de marquage morphologique, dans une perspective unitariste entre synchronie et diachronie.