25 novembre 2023
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Simon Hasdenteufel, « Les métamorphoses du pouvoir : pratiques, langages et conceptions politiques des seigneurs de Romanie latine (1204-1316) », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.jfwl84
Ce travail vise à analyser la manière dont les seigneurs latins installés dans les territoires byzantins à l’issue de la Quatrième croisade ont adapté leurs manières de gouverner à un nouvel environnement politique et culturel. Il porte sur un groupe de 422 individus, allant des empereurs de Constantinople jusqu’aux modestes chevaliers n’ayant que leur équipement militaire ainsi que les ressources démographiques et économiques nécessaires à leur entretien. Le point commun de ces individus est de se revendiquer d’un même groupe social, à savoir l’aristocratie, qui se définit avant tout par sa prétention et sa capacité à dominer le reste de la société. Ce groupe social fonde sa cohérence et sa cohésion sur un ensemble de manières d’être, de faire et de penser visant à légitimer sa domination. Ceci étant, il est structuré par une forte hiérarchie interne au sommet de laquelle est promu un petit nombre de familles tirant les fruits de la croisade. Ces seigneurs implantés en Romanie entendent reprendre le flambeau du gouvernement de l’empire byzantin dans une perspective universaliste. Aussi est-il question dans cette étude de la majeure partie de cet espace, à savoir le domaine impérial – autour de Constantinople, en Thrace et au nord-ouest de l’Asie mineure –, le royaume de Thessalonique, les seigneuries d’Athènes et de Négrepont, ainsi que la principauté de Morée. L’étude de cette domination aristocratique débute en 1204, avec la conquête de Constantinople, et se poursuit jusqu’en 1316, alors que les possessions latines ont pour la plupart été reconquises et que la Morée n’est désormais plus gouvernée par un prince présent sur place mais passe entièrement sous administration indirecte de la cour angevine de Naples. Au fil de ce long XIIIe siècle, l’aristocratie latine déploie des pratiques de gouvernement venues d’Occident et transforme en conséquence les structures politiques ainsi que l’organisation territoriale des anciens territoires byzantins. En effet, à partir de 1204, le groupe dominant en Romanie est imprégné des codes et imaginaires de la chevalerie en vertu desquels ses membres imposent leur domination par divers usages de la violence, par un nouvel exercice de la justice et par un subtil jeu de postures et de représentations de soi. En outre, cette aristocratie chevaleresque fait valoir son autorité dans l’espace au moyen de chevauchées et de la multiplication des constructions castrales qui refaçonnent les terres d’empire. Pour autant, les seigneurs latins récupèrent aussi une partie de l’héritage byzantin et s’adaptent aux sociétés qu’ils prétendent dominer quand cela peut servir leur hégémonie. À Constantinople, ils se montrent particulièrement soucieux de perpétuer une tradition impériale qui ne leur est pas étrangère mais qui répond à leurs idéaux de « res publica », au service du salut de tous les chrétiens. Dans cette optique, ils mettent également en place des dispositifs pour gouverner de manière collective dans lesquels sont impliqués des individus pouvant se revendiquer barons. Ces dispositifs, déjà existants en Occident – comme la tenue de conseils ou les procédures électorales –, connaissent un nouvel épanouissement en Romanie. Ils contribuent à équilibrer les rapports de pouvoir entre les souverains – empereurs, rois et princes – et le groupe baronnial qui les entoure. Enfin, dans la mesure où les seigneurs latins de Romanie sont au départ des croisés, ces derniers remobilisent activement par la suite les gestes et imaginaires de la croisade, entretenant tout particulièrement le souvenir des premiers croisés et des rois de Jérusalem comme des modèles politiques à imiter. L’implantation de pratiques venues tout à la fois de l’Occident et de l’Orient latin dans un environnement impérial et grec en Méditerranée centrale a ainsi produit une nouvelle culture dominante. De la sorte, ces transferts culturels ont durablement transformé une partie des structures et représentations du pouvoir dans cette région.