Marriage outside of kinship

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20 janvier 2022

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Catherine Baroin, « Marriage outside of kinship », Publications scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, ID : 10670/1.jvgenz


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Résumé En Fr

The Tubu are Saharan-Sahelian herders whose area, centred in Northern Chad covers a quarter of the Sahara, spilling into Libya in the north, Niger in the west and Sudan in the East. Broadly speaking, their lifestyle is comparable to that of the other nomads, living off extensive camel farming in this wide climatic belt of the Sahara-Sahel, stretching out from Senegal to the Red Sea. But in their marriage rules, the Tubu are radically different from the other cultural groups that constitute the Moors in the west, the Tuaregs and various other Bedouin tribes in the north and in the east. For them, marriage is rigorously forbidden within cognatic kinship, either close or distant, contrary to the other herders who tend to favour marriage among cousins. This marriage rule, of which they are very proud, forces them to endlessly look for new alliances which materialise through important livestock transfers between the various family units. It is on this basis that they have built a society where interpersonal networks count as much —if not more— than clans or lineages. As a result, they display great flexibility and resilience that sheds light on the motives of the political anarchy which, as a matter of fact, characterises these herders.

Le mariage hors de la parenté : structure des liens sociaux chez les ToubouD’ouest en est, vivent au Sahara les Sahraoui et les Maures, les Touaregs, les Toubou et diverses tribus arabes. L’élevage extensif du chameau les contraint au même mode de vie nomade, mais ils diffèrent fortement par la langue et la culture, et à cet égard, ce sont les Toubou qui tranchent le plus. L’arabe et le tamasheq(langue des Touaregs) sont des langues afro-asiatiques, tandis que la langue des Toubou appartient au phylum niger-congo. Elle diffère donc radicalement des autres langues parlées au Sahara. Sur le plan culturel aussi, de très fortes différences opposent les Toubou aux autres sahariens. Nous mettrons ici en évidence ces différences, dont le point de départ est la règle de mariage.La règle de mariage et le processus matrimonialLes peuples du Sahara privilégient tous le mariage dans la proche parenté, sauf les Toubou qui refusent ce type de mariage. Les arabophones privilégient le mariage « arabe » entre enfants de deux frères, et les Touaregs l’union avec une cousine croisée, tandis que pour les Toubou moins on est parent, mieux c’est. Le mariage est prohibé si un(e) trisaïeul(e) est commun(e), et ils mettent un point d’honneur à respecter cette règle. Chaque alliance étant contractée loin du cercle des proches parents, chacun est au coeur d’un réseau personnel distinct d’alliés, qui sont disséminés dans un grand nombre de campements. Ce brassage matrimonial s’accompagne de multiples transferts d’animaux, entre une multiplicité de protagonistes, ce qui influe sur les relations sociales, économiques et politiques.Le versement d’une importante compensation matrimoniale s’inscrit dans un cycle de quatre étapes de transferts préalables au mariage. Dans un premier temps, au cours d’une vaste tournée qui peut prendre deux ans, le futur marié fait appel aux membres de sa parenté cognatique, hommes et femmes, pour l’aider à rassembler le bétail demandé. Il remet ce bétail à son futur beau-père, qui en redistribue une grande partie à divers parents et parentes, paternels et maternels, de la future mariée. Ceux-ci à leur tour, le jour du mariage, font don d’animaux au marié, qui aura dès lors un troupeau pour vivre avec sa famille.Les répercussions sociales de ce processus de transferts de bétailC’est de la parentèle de l’épouse que provient donc l’essentiel du troupeau du jeune couple. Le mari y joint ses propres animaux, reçus dans l’enfance, qui étaient gardés par son père. Fort de son indépendance économique, il est libre de conduire sa famille où il veut et se considère comme son propre chef, situation qui n’est pas étrangère à l’esprit d’anarchie qui règne en pays toubou, où nul n’est tenu d’obéir à qui que ce soit.Mais ce sont les parentèles des deux époux qui ont contribué au mariage, et les liens ainsi forgés ne sont pas sans retour. La solidarité joue inversement lorsqu’un parent, de l’épouse ou du mari, a besoin d’aide, notamment pour se marier. Les parents de l’épouse, qui peuvent donner à leur gendre encore d’autres animaux, conservent une influence sur le jeune ménage. En cas de conflit conjugal, l’épouse peut s’enfuir chez eux, et c’est avec eux que le mari doit négocier son retour. Ils exigent le don d’une tête de bétail en dédommagement, avant de l’autoriser à revenir. Par ailleurs, tous les transferts de bétail qui précèdent, source de l’indépendance formelle du couple, définissent des droits sur les animaux, qui influent sur les relations entre individus.Les droits sur le bétailLe cheptel familial se répartit en diverses catégories juridiques, sur lesquelles les protagonistes (mari, femme, enfants) exercent chacun des droits spécifiques. Ils sont indépendants de la nature biologique du bétail (chameaux, vaches ou petit bétail) et perdurent au fil du temps. Chaque petit vient grossir la catégorie à laquelle sa mère appartient, et le troupeau se compose d’une juxtaposition de lignages d’animaux matrilinéaires sur lesquels s’exercent des droits différents. Lors de la cérémonie du mariage, deux catégories sont créées. La plus importante est celle des conofora, animaux donnés au mari par les parents de son épouse le jour du mariage. La seconde est la « garantie du mariage » sadag, une ou deux bêtes que le mari donne à sa femme selon la règle islamique. D’autres animaux peuvent s’ajouter ensuite, qui sont propriété personnelle du mari, de l’épouse, d’un de leurs enfants ou même d’un tiers.Les conofora sont gérés par le mari dans l’intérêt de son couple et de ses enfants. Il peut vendre une bête pour faire face aux dépenses familiales, mais il ne saurait dilapider ce bien, par exemple pour contracter un second mariage. Ses beaux-parents s’y opposeraient. L’épouse bénéficie du lait des femelles pour nourrir sa famille, et seuls les enfants nés de leur union hériteront ce cheptel.Le sadag appartient à la femme. Le mari n’y ajoutera un animal qu’en réparation d’un préjudice. En cas de répudiation la règle islamique prévoit que le sadag revient à l’épouse, mais le mari garde souvent ce cheptel. Il revient aux enfants nés de l’union, à l’âge adulte. Leur mère en vend une bête pour acheter des bijoux d’argent à sa fille, ou bien son fils en vend une sans son avis. Ce n’est que pré-héritage, puisque ce bétail leur est destiné.À ces deux catégories s’en ajoutent souvent d’autres, en nombre variable. Ces bêtes, qu’il s’agisse de chameaux ou de vaches, appartiennent en propre au mari, à l’épouse, à un de leurs enfants, ou encore à un tiers. Le cheptel personnel du mari a diverses origines : dons à la naissance ou à la circoncision, héritage ou pré-héritage, bétail acheté au retour d’un séjour salarié au loin. Ses droits sur ces animaux sont entiers. Il n’est pas rare que figure aussi, dans le troupeau familial, le bétail personnel d’une femme, que ce soit l’épouse ellemême ou une parente du mari. En outre, d’autres éleveurs, parents du couple ou non, leur confient parfois des animaux pour des motifs divers. C’est un prêt de bête laitière pour éviter à une parente en difficulté de manquer de lait, ou bien le fruit d’une politique de diversification des risques. Pour un éleveur fortuné, qui ne peut gérer seul tout son troupeau, les aléas de l’élevage extensif au désert et sur ses marges sont tels, en raison des sécheresses et des vols de bétail, qu’il est prudent de répartir son cheptel chez divers partenaires. Au total, le troupeau qu’exploite la famille nucléaire se compose donc d’animaux d’origine et de statuts très divers, sur lesquels s’enchevêtrent les droits complexes d’individus multiples.Richesse des hommes, richesse des femmesL’attitude des hommes et des femmes concernant la possession personnelle de bétail est bien différente. Les hommes attachent une grande importance au nombre d’animaux qu’ils possèdent, car ils en tirent leur indépendance économique et, partant, leur sentiment de liberté. Pour les femmes par contre, ce qui compte avant tout c’est d’avoir assez de bêtes en lactation pour nourrir leurs jeunes enfants et leur famille. Elles possèdent moins d’animaux que les hommes, en raison des règles islamiques d’héritage, mais beaucoup d’entre elles de surcroît se désintéressent de ce bétail. Certaines préfèrent laisser leur part à leurs frères, plutôt que d’en confier la gestion à leur mari. Après veuvage, elles savent qu’elles pourront compter sur le soutien de leurs frères, à défaut de fils pour pourvoir à leurs besoins lorsqu’elles vieilliront. De plus, les dons d’une épouse à son mari sont fréquents, tandis que l’inverse est exceptionnel.Globalement on peut considérer que l’épouse, chez les Toubou, est pourvoyeuse de richesse pour son conjoint. Avant le mariage, grâce aux contributions de sa propre parentèle, le futur marié remet à son beau-père un « prix de la fiancée », dont le montant est compensé ensuite par les dons qu’il reçoit de la parentèle de sa femme le jour de la cérémonie. Plus tard, les parents de son épouse continuent de l’enrichir d’autres animaux, s’ils ont leur gendre en estime. D’ailleurs c’est souvent l’épouse qui sollicite ces dons, lors d’une tournée de visites à sa famille à dos de chameau. Elle emporte avec elle quelques menus cadeaux et souvent son dernier-né, pour le présenter à ses parents. À chaque visite, elle reçoit une ou deux têtes de gros bétail, et revient de sa tournée avec une dizaine d’animaux ou plus. Ceux-ci grossiront le stock des conofora du troupeau conjugal.Il est fréquent aussi qu’une épouse fasse à son mari le don d’animaux qu’elle possède en propre. Ce peut être la promesse d’un animal à naître : elle donnera le « ventre » kiši de telle femelle, c’est-à-dire son prochain veau ou chamelon. Avec la chance, si ce « ventre » s’avère être une femelle et qu’elle engendre de nombreux petits, tout un troupeau peut en résulter. Inversement, le mari ne donne pas de bétail à son épouse, sauf le sadag islamique. Il lui alloue toutefois, à elle et à sa descendance, une part de ses animaux personnels et s’interdit ainsi de les utiliser à d’autres fins. Elle bénéficie du lait, et ce bétail reviendra à ses enfants. Mais à titre personnel, elle ne reçoit de lui aucun autre animal, sauf en réparation d’un tort.Le tort le plus courant, aux yeux de la gent féminine, est la prise d’une seconde épouse. La polygynie est rare chez les Toubou, et une seconde union est toujours très mal vécue par la première femme et ses parents. Ce mariage porte atteinte à leurs intérêts, car elle et ses enfants perdent l’exclusivité de l’accès à la richesse paternelle, qu’ils devront partager avec les enfants du second lit. Quand elle apprend ce second mariage, la première épouse « se fâche » oworci : elle retourne chez ses parents. Quelque temps après, quand la colère est retombée, le mari tente de négocier avec eux son retour. Il incite sa femme à reprendre la vie commune en lui donnant une vache ou une chamelle qui sera son bien personnel, comme le bétail reçu en héritage.Tout au long de sa vie, l’épouse conserve des liens avec sa parentèle qui l’épaule en cas de difficulté. Elle retourne chez ses parents en cas de mésentente conjugale ou de répudiation. Elle vivra alors près d’eux jusqu’à son remariage. Le soutien des parents est inconditionnel, alors qu’aucune solidarité systématique ne lie les partenaires conjugaux. Seule la venue de nombreux enfants met leur mère à l’abri de la répudiation, et du besoin dans ses vieux jours. En effet, la femme toubou n’est jamais économiquement autonome. Elle dépend toujours d’un homme (époux, père, frère ou fils) pour subvenir à ses besoins et c’est pourquoi posséder en propre des animaux n’est pas crucial pour elle.Une logique sociale en réseauxLa parentèle, pour les hommes comme pour les femmes, a donc une importance primordiale. Même si chaque chef de famille base sur son troupeau son indépendance économique, les recours aux liens familiaux sont nombreux, au sein de sa parentèle comme de celle de sa femme. C’est le cas si se projette le mariage d’un fils ou d’un cousin, ou s’il faut aider un parent victime par exemple d’un vol de chameau, d’une agression ou d’un meurtre.Mais comme chacun et chacune est au coeur de son propre réseau, en raison de la règle de mariage qui diffuse au loin les alliances, il en résulte globalement un enchevêtrement de réseaux qui ne se recoupent qu’à la marge. Les solidarités se basent sur ces réseaux de parentèles, et non sur des groupes aux contours définis. Ce mode de sociabilité, qui influe sur la vie économique de ces pasteurs, fait sentir aussi ses conséquences en matière politique puisque chaque famille restreinte, insérée dans un vaste entrecroisement de relations d’entraide impliquant consanguins et alliés, est à la fois autonome et solidaire des autres. Il en résulte un maillage social fluide, sans centre ni périphérie, qui permet à chacun de se sentir indépendant et de considérer qu’il n’a de comptes à rendre à personne.Ce sentiment est d’autant plus fondé que s’il existe bien des chefs (de lignages ou de clans) chez les Toubou, ceux-ci n’ont tout au plus qu’un rôle d’arbitre. Ils n’ont aucun pouvoir coercitif. Les membres d’un clan ou d’un lignage patrilinéaire sont très disséminés géographiquement et ne se réunissent jamais. Le clan toubou ne constitue donc pas un « groupe en corps ». C’est plutôt une sorte de blason honorifique, défini par plusieurs attributs : une tradition historique, un surnom, un interdit et une marque de clan. Les membres d’un même clan veillent à ce que soient respectés ces insignes communs de leur honneur, en réagissant aux offenses et aux éventuelles insultes dont serait l’objet leur interdit ou leur surnom, en vengeant un meurtre ou en poursuivant le voleur de bétail portant les marques du clan. Les Toubou ont un sens très pointilleux de l’honneur, qui les fait dégainer à l’instant leur poignard, porté dans un étui au niveau du coude gauche, pour se ruer sur leur adversaire. Or les défis et motifs de vengeance sont fréquents, d’autant que cette société guerrière valorise l’audace et le vol de bétail, lequel n’est pas sans risque car il déclenche pour le voleur une menace de vengeance permanente, diffuse et systématique. Dans de tels cas cependant, la solidarité se limite aux parents les plus proches car « les obligations de vengeance [...] ne dépassent pas [...] un certain degré de parenté à l’intérieur du clan ».Ces dernières perdurent au fil du temps, sauf compensation en cas de meurtre, et le clan régule cette violence endémique. Mais globalement c’est l’anarchie qui domine, en l’absence de chefs dotés de réels pouvoirs. Dans cette logique sociale à base de réseaux personnels entremêlés, on conçoit mal d’ailleurs comment une chefferie forte pourrait trouver sa place.Comparaison avec les autres peuples sahariensRien de tel chez les autres peuples du Sahara. Les Maures et les Touaregs ont une forte stratification sociale, avec des catégories absentes chez les Toubou : les nobles, les tributaires et les religieux. Sur ces distinctions se fonde le pouvoir politique, et l’on constate une « assez grande similitude des hiérarchies sociales et politiques chez les Maures et chez les Touaregs ». Quant aux tribus arabes, leur organisation est segmentaire comme chez les Nuer du Soudan. Les échelons agnatiques de la tribu arabe sont dirigés chacun par un chef dans un mode d’organisation qui n’a rien à voir avec le modèle toubou.C’est donc la grande originalité des Toubou qui ressort de cette brève comparaison. Au contraire des autres sahariens, leur société se compose d’un enchevêtrement de réseaux interpersonnels où chaque homme entretient le sien et se considère comme son propre chef. Les mariages hors de la parenté y font circuler la richesse, d’une parentèle à l’autre, dans une série de dons de bétail qui aboutissent à la formation du troupeau familial du jeune couple, sur lequel se fonde son indépendance économique. Au-delà de la famille restreinte cependant, les relations établies ou perpétuées par ces dons d’animaux sont source de relations solidaires diffuses. Les clans ne constituant pas des « groupes en corps » et les chefs de clan n’ayant aucun pouvoir décisionnel, c’est l’esprit d’anarchie qui caractérise cette société dans le domaine politique, tandis que l’esprit de solidarité établit le lien au sein de réseaux individuels.

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