La diversité culturelle, Les essentiels d’Hermès, Paris, CNRS Éditions, sous la dir. de Paul Rasse, 2013, 230 pages.

Fiche du document

Auteur
Date

5 avril 2013

Périmètre
Langue
Identifiants
Collection

Archives ouvertes




Citer ce document

Paul Rasse, « La diversité culturelle, Les essentiels d’Hermès, Paris, CNRS Éditions, sous la dir. de Paul Rasse, 2013, 230 pages. », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.ka4g2w


Métriques


Partage / Export

Résumé En

Introduction : La diversité des cultures en questionde Paul RasseSe dirige-t-on alors vers une mondialisation de la culture imposée par l’essor des moyens de communication et les pays riches, principalement l’Amérique du Nord ? Faut-il en conclure à l'épuisement de la multiplicité des identités locales issues de millénaires de grandes difficultés de communication et d’échange entre les sociétés ? Ou bien tend-on vers une diversification des cultures soutenues par une dynamique fertile du métissage et par des formes de ressaisissement régionales, voir de réaction communautariste ? Vaste débat que celui de la reconfiguration des cultures prises dans le jeu de la globalisation et de l’universalisation des technologies de la communication. La revue Hermès s’en est souvent faite l’écho, nous lui consacrons cet Essentiel d’Hermès qui vient complèter d’autres essentiels publiés sur des thèmes connexes . Nous commencerons par réfléchir aux origines de la diversité culturelle, avant de prendre la mesure des deux révolutions des moyens de communication qui ont bouleversé le jeu. Nous interrogerons alors la façon dont les anthropologues pensent cette question, tandis que les auteurs d’Hermès invités dans la suite de l’ouvrage permettront d’en éclairer certains des aspects les plus significatifs.Aux origines de la diversité culturelle, l’homme enfermé dans son milieu. La diversité des cultures dont nous pouvons encore apprécier les traces, dispersées ici et là dans le patrimoine bâti et plus rarement immatériel, dans les expositions des écomusées ou les manifestations folkloriques, parfois dans les produits de la ferme, les magasins d’artisanat local, ou encore dans les spécialités culinaires régionales, s'est forgée dans le berceau du néolithique, il y a de cela 5 à 8000 ans. Jusque-là, le chasseur-cueilleur ne devait sa survie qu'à sa mobilité. Pour se nourrir, il lui fallait parcourir d'immenses territoires dont il pillait les ressources les plus immédiatement accessibles, si bien que dans sa perpétuelle mouvance, il ne pouvait accumuler plus que ce que ses forces lui permettaient d'emporter avec lui.Quand l’homme du néolithique se sédentarise et développe l’agriculture, le problème ne se pose plus ; au contraire, il s’inverse. Il doit accumuler, stocker, engranger, parquer en prévision des mauvaises saisons. L’agriculteur défriche, cultive, récolte, il peut aménager son environnement immédiat, dresser des enclos, creuser des canaux, bâtir sa maison, planter des arbres pour lui et les générations futures. Mais l'espace se referme alors sur lui. Au début surtout, quand il n’y a pas de routes, pas même de chemin, tout juste quelques sentes hasardeuses, incommodes à tout transport, car pour longtemps les charrois se feront à dos d’homme ou de bêtes. Si bien que son espace se réduit à celui qu’il habite, au mieux à celui qu’il peut parcourir, aller et retour, dans la journée, s’il veut pouvoir manger et dormir chez lui. Les commuautées d’agriculteur n’ont pas le choix, elles doivent faire au mieux avec les ressources proches qui leurs sont accessibles, qu’elles doivent exploiter, ménager, combiner entre elles, obstinément. Plus elles apprennent à jouer avec les contraintes et les potentialités spécifiques du milieu qu’elles habitent, et plus elles se différencient. Plus elles vivent repliées sur elles-même, plus elles inventent des solutions qui leur sont propres, et plus elles développent des attitudes, des façons de dire, de nommer et d’interpréter le monde qui n’appartiennent qu’à elles. La conjugaison de l’autarcie et de milieux diversifiés fera la diversité culturelle des communautés et des paysages nés de cette rencontre de l’homme et de son milieu, de l’acharnement du premier à vivre à partir de ce que le second lui permet.C’est pourquoi les historiens de l’école des Annales - qui, à la suite de Lucien Febvre et de Marc Bloch, ont renouvelé les études historiques - ont dès le début attaché tant d’importance à la géographie. Braudel dans ces ouvrages majeurs sur l’identité de la France et la Méditerranée défend que les contraintes géophysiques et climatiques d’un territoire sont au départ l’élément déclenchant de la diversité des cultures, qu’elles expliquent bien des formes que prend ensuite le mouvement long de l’histoire (Braudel, 1987, 1990a, 1990b). Duby s’en félicite à propos des monographies régionales, fertiles parce qu’elles ont appris « à circonscrire convenablement un territoire ; à considérer l’ensemble des hommes qui le peuplent dans leur rapport avec ce milieu… » (Duby,1990, p.241). La culture, au sens holiste du terme, est constituée de tous les éléments, tant matériels que symboliques, qui lient une communauté : une façon de vivre ensemble, de produire et de partager les moyens d'existence, d'organiser le travail nécessaire, de bâtir, d'habiter, de cuisiner et de manger, de s'habiller, de fêter les récoltes, de célébrer les dieux et d’invoquer leur clémence, d’exorciser ses démons, d'enterrer ses morts et de s'en souvenir. On voit mieux comment à partir de milieux diversifiés, elles ont progressivement constitué des ensembles complexes, globaux, et différenciés. Car on ne dispose pas des mêmes ressources quand on s'est installé en montagne ou aux portes du désert, dans les plaines alluviales mais marécageuses, ou sur des plateaux, dans les zones tempérées ou plus arides avec des saisons marquées de pluies diluviennes, d'hivers interminables ou d'étés torrides. Au-dessus se tiennent les grandes civilisations. Au fur et à mesure de leur développement, elles prennent dans leurs filets des parts de plus en plus importantes de territoires et fédèrent un nombre toujours plus vaste de cultures. Cependant, elles se contentent le plus souvent de prélever l'impôt, éventuellement d’imposer une religion et des formes de soumissions symboliques, mais laissent perdurer les communautés pour autant qu'elles représentent le meilleur moyen de produire de la richesse. La culture cosmopolite, aristocratique des grandes civilisations, si brillantes soient-elles, reste pour l'essentiel circonscrite aux élites des cités. Elle rassemble et distingue de la masse une toute petite minorité détachée des contraintes de l'autarcie et de la nécessité de produire chaque jour les moyens de son existence matérielle. Les élites aristocratiques se consacrent à la guerre, à la chasse, à la politique, mais aussi aux arts et à la science qu'elles développent dans une perspective universelle, transcendant les particularités locales, pour se lier entre elles, rayonner sur les autres puissances, mais aussi assurer leur légitimité face à la plèbe.Pour les autres, pour la masse des hommes, les contraintes du local, la prégnance du milieu, le poids des habitudes dominent partout. Les apports religieux ou esthétiques parvenus de l'extérieur, quand ils sont adoptés par les populations sont recontextualisés dans des formes de syncrétisme où le poids du local, les habitudes du passé, restent les plus forts et continuent de les différencier. Les nouvelles techniques sont intégrées précautionneusement et adaptées au complexe local qu’elles dynamisent, si bien qu’elles tendent plutôt à amplifier les différences qu’à les araser.Et cette dynamique va engendrer une grande diversité de culture, distinguant les pays, les terroirs, les régions, les nations, repliés, embourbés dans l'absence ou le coût prohibitif des moyens de transport. Elle domine jusqu'au début du XXe siècle. « Dans de telles conditions, résume Braudel, nul ne s'étonnera que la France ait été, des siècles durant, un espace parcellisé, presque totalement inconstitué, de cellules simplement juxtaposées. Un agrégat de microcosmes, capables, dans le cas de nécessité, de se suffire longtemps. Une mosaïque de petits pays, de villages et de villes qui possèdent une certaine indépendance, même si tous appartiennent au même ensemble politique et religieux… Et de conclure plus loin « La diversité est donc fille première de la distance, de l'immensité qui a préservé tous nos particularismes, venus du fond des âges » (Braudel, 1990a, p. 114-115). Partout dans le monde, le souffle manque ; en dépit de la lente amélioration des moyens de transport, trop peu d'échanges pour développer des voies de communication, trop d'énergie à mobiliser sur de trop mauvais chemins pour développer l'échange. L’imprimerie depuis la Renaissance, l’adoption progressive du mètre étalon à partir de la Révolution française et bien d’autres innovations techniques préparent le monde à venir, mais il faut attendre la machine à vapeur bientôt embarquée sur des locomotives et des steamers pour casser les systèmes anciens reposant sur la quasi-autarcie des modes de vie et de production.Deux révolutions des moyens de communicationEn un demi-siècle, la France, l'Europe, et bientôt la planète se couvrent de chemins de fer. Le train ouvre d’immenses territoires au commerce, à la circulation des hommes et des marchandises, jusque dans les ports qui lient les économies entre elles et ruinent les systèmes anciens, sonnent le glas des régions, mais libèrent des forces énormes qui feront la société industrielle de masse. Pour avoir minutieusement étudié la question, le sociologue américain Weber situe la fin des terroirs en France et en Europe au début du XXe siècle (Weber, 1998). Bientôt, en occident, les cultures traditionnelles ne demeurent plus qu'aux confins des zones habitées, les fonds de vallées désespérément isolées, dans les lieux désertiques et inhospitaliers, sans grand intérêt économique ou rétifs aux nouveaux moyens de communication. Elles font le bonheur des ethnologues et des muséologues qui s'efforcent d’en collecter les traces. Dans le reste du monde par contre, entre les mailles des réseaux de transport, d'immenses portions de territoire continuent de vivre à l'écart de la société industrielle de production et de consommation de masse. Elles constituent encore un immense réservoir de diversité, pour le plus grand plaisir des voyageurs, des aventuriers, des touristes ou des créateurs avides de dépaysement, d'inspiration et de ressourcement.La seconde révolution des moyens de communication, après celle des transports, est celle de la connectique. Le couplage de l'électronique et de l'informatique, de la télématique alliée à la digitalisation des biens culturels, permet désormais de les diffuser instantanément et à des coûts infinitésimaux qui les rendent accessibles à tous. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication couvrent la planète d'un filet réticulaire aux mailles si serrées et si denses qu'elles peuvent atteindre les endroits les plus reculés de la planète, là où il n'y ni route, ni électricité, pas davantage de ligne téléphonique.Dans la phase antérieure, la révolution industrielle attaquait l’édifice par le bas, par ses structures matérielles en produisant et en livrant à des prix défiant toute concurrence des biens de consommation de masse, bouleversant les systèmes économiques quasi autarciques antérieurs, laissant les populations démunies, obligeant les artisans et paysans ruinés à migrer vers les villes, où, coupés de leurs racines, ils étaient progressivement acculturés, mais où parfois ils parvenaient à se réinventer dans des formes d’expression culturelle urbaines, ouvrières, néo-ethniques recyclant des bribes de cultures ancestrales. Tandis que dans les campagnes, les derniers habitants conservaient le souvenir des pratiques culturelles anciennes dont le sens s’estompait, suspendues qu’elles étaient pour avoir perdu leur raison d’être, comme les fêtes de fin de moisson transformées en manifestations folkloriques à l’intention des touristes, alors que les machines ont depuis longtemps remplacé les moissonneurs. A l’inverse, la seconde révolution des moyens de communication frappe à la tête et s’attaque directement à la culture en diffusant une profusion de standards issus des modes de vie et des valeurs occidentales, des façons de penser, de se penser, d'être au monde, de se représenter au travail ou dans la cité, de vivre en famille, de choisir son conjoint, d’exprimer son affection, de nourrir ses aspirations, de se projeter dans l'avenir. Elle agit de l'intérieur, car elle s'adresse d’abord aux individus, par-delà leur appartenance à des ensembles culturels qu'elle fait éclater . Chacun peut maintenant se distinguer en consommant des biens matériels ou culturels produits en masse, mais en apparence diversifiés puisqu’il y en a pour tous les goûts et tous les âges, alors que sur le fond, les modes de vie convergent. Vers une culture mondiale atomisée ?Aujourd’hui, le rapport de forces entre le global et le local s’est inversé. Le global domine partout. D’abord parce que le système de production et de consommation est devenu planétaire et que chacun, autant comme travailleur que comme consommateur, doit forcement être formaté pour y participer. Les productions des industries culturelles distribuées à échelle planétaire par les médias de masse et l’Internet véhiculent et universalisent de nouveaux modèles, jusqu’à en imprégner l’univers des sociétés les plus reculées ; ils conduisent inéluctablement au brassage des cultures et des modes de vie. La connectique, en individualisant les flux de distribution, y ajoute une dimension supplémentaire : l’explosion de la diversité en parcelles de différences, qui se combinent entre elles dans un cosmopolitisme généralisé, sans cesse en recomposition, fertile mais épuisant.La culture mondiale devient un maelström, un magma incandescent où dominent les productions des pays les plus puissants et l’intérêt des plus riches, tandis que le corps social anomique se fragmente en bandes, en clubs, en courants, en tendances, en chapelles, en confessions, en confréries. Et chacun de multiplier et de réinventer les formes d'appartenance à des communautés sporadiques, éphémères, délocalisées, virtuelles... Maffesoli les identifie comme une reviviscence du barbarisme ou un ensauvagement du monde (Maffesoli, 2002, p. 141 et suivantes). Les groupes empruntent ici et là des fragments de cultures anciennes, des bribes de connaissance, des valeurs, des cérémoniels, des rites, des accoutrements. Ils en pillent les aspects les plus évidents et les plus superficiels, qu’ils métissent au gré de leur créativité pour générer des identités passagères, labiles, fluctuantes, liquides dirait Bauman (Bauman, 2010). Le sujet lui-même explose et tend à n’être plus que parcelles de désir, manipulées par les experts en marketing, s’agglutinant à d’autres en fonction d’affinités électives, pour des motifs de plus en plus irrationnels et compulsifs, avant de se défaire pour se reformer ailleurs. Et dans le champ professionnel, il n’est plus qu’un atome, un temps de travail dispersé en multiples projets, soumis au diktat de l’esprit du capitalisme le plus libéral, balayé par les vents du marché et de l’emploi. Cela est particulièrement fascinant, dynamique et enrichissant pour ceux qui en sont, et tant qu’ils en sont… Mais à l’échelle de l’humanité, et à ce rythme-là, on aura épuisé en une génération la richesse collective, planétaire, que représentait la diversité des cultures locales qui avaient mis des millénaires à se distinguer les unes des autres.À l’opposé de cette circulation permanente des catégories sociales dites « branchées », toutes en fluidité et en métissage, s’accumulent les populations « immobiles », ruinées, déplacées, contraintes à l’émigration, abandonnées à leur sort dans les banlieues en déshérence, reléguées dans les squats, les bidonvilles, les camps de réfugiés. Elles s’organisent en ghetto, parfois en communautés ethniques, en groupes sociaux plus denses et solidaires, moins anomiques que ne l’est la société globale. Et si, d’une certaine façon, elles maintiennent et réactualisent leur culture d’origine, elles servent aussi de substrat au comunautarisme et développement de mouvements religieux, eux aussi planétaires, qui conduisent d’une certaine façon à un nivellement de la diversité en structurant de grands blocs transnationaux, dont la radicalisation lamine les restes de culture locale. Les leaders populistes font de ce mouvement puissant leur fond de commerce. En opposant les communautés entre elles, en exacerbant les haines, en surfant sur l’incompréhension, les difficultés à vivre ensemble, sur le mal être qu’engendrent l’anomie et la perte de repère, en désignant l’autre comme bouc émissaire, en appelant à la violence, en prônant la vengeance, ils renforcent leur pouvoir, et évitent surtout que ne se pose la question essentielle de la répartition des richesses.Penser les mutations culturellesOn comprend que confrontés à la montée des intégrismes archaïques, inquisitoires et sanglants, les anthropologues se fassent les chantres du respect de la différence, de la tolérance (Leclerc, 2000, p. 475), du métissage (Jucquois, 2003 réf. : « bricolage »). Comme l’expliquent plus loin Mattelard, à propos de Hall et d’Apadurai ou Morris et Schlesinger au sujet des travaux de Garcia Canclini, tous veulent y voir des hybridations fertiles faites de délocalisations et de relocalisations, d’indigénisation, de créolisation, susceptibles de produire de nouvelles formes d'expression culturelle intégrant les apports extérieurs, de susciter de nouvelles identités délocalisées, éventuellement relocalisées ailleurs en fonction des migrations, dans une grande hétérogènéïsation culturelle du monde. Et de marteler inlassablement que les cultures ont toujours été en mouvement, (Cuche, 1998, p. 64 et suivantes), et les civilisations ouvertes à l’influence des autres cultures, qu’elles disposent de ressources insoupçonnées pour se recomposer, se recycler, conserver son quant à soi et défendre son identité en recontextualisant les biens importés (Warnier, 1999, p. 106-108). Et le chœur de reprendre que, malgré les évidences, nous sommes bien loin d’une uniformisation culturelle du monde, que les inquiétudes nourries à cet égard sont réactionnaires . Dominique Wolton est l’un des rares à adopter une position critique à l’égard de cette « idéologie moderniste qui nous abreuve d’ouverture, de nomadisme, de cosmopolitisme, de métissage, mais qui, explique-il, au mieux refuse de voir le problème, au pis le disqualifie en parlant de comportement conservateur » (Wolton, 2004, p. 50). Aujourd’hui, les observateurs sont plus circonspects. « À l’âge hypermoderne, écrit Lypetovski, les peuples s'attachent d'autant plus à exalter leur singularité et à réhabiliter leurs racines qu'ils sont emportés dans une même dynamique de modernisation laquelle, n'en déplaise aux esprits politiquement corrects, signifie d'une manière ou d'une autre occidentalisation du monde ». (Lipovetsky, Juvin, 2010, p. 161). Juvin, dans le même ouvrage, à un jugement plus radical encore : Il faudra bien un jour s’interroger pour savoir si le premier crime du développement n'est pas la formidable destruction du patrimoine de l'humanité, que représente la diversité des cultures (idem, pp. 301-302), un sujet sur lequel revient Wolton à propos de ce qu’il appelle la troisième mondialisation caractérisée par le surgissement de la problématique des identités cultuelles. « Pourquoi respecter, enfin, la diversité de la nature au travers de l’écologie, et demeurer si indifférent à la diversité culturelle des hommes et des sociétés » (Wolton, 2012 p. 21).Rappeler que les cultures ont toujours été en mouvement, qu’elles disposent de ressources insoupçonnées pour se réapproprier les apports de l’extérieur, est salutaire, mais ne nous fait guère progresser sur l’analyse du monde à venir. Nous l’avons vu, à l’échelle de l’histoire de l’humanité, la diversité des cultures tenait jusque là à l’isolement, au repli des sociétés sur elles mêmes, contraintes qu’elles étaient d’inventer des modes de vie holistes prenant en compte leur environnement immédiat. Il a fallu des millénaires pour qu’elles parviennent à tisser entre elles des réseaux de communication de masse, effectifs, qui ne mettent pas seulement les élites en contact, mais conduisent réellement au brassage des populations. Ce mouvement-là n’a véritablement pris de l’ampleur que depuis un siècle et demi, si l’on prend comme point de départ la machine à vapeur ; voire seulement depuis 20 ou 25 ans, si l’on prend en considération la seconde mondialisation et l’essor des réseaux de communication instantanée, qui assurent, à des coûts infinitésimaux, la permanence des interrelations entre tous et tout : hommes, cultures, machines et marchandises. Le monde qui vient est sans précédent. Aussi faut-il focaliser l’attention sur ce qui change, non pour le regretter, par déploration ou par nostalgie, mais pour prendre la mesure de ce qui est en train d’arriver, pour interroger la dynamique des mutations et les conséquences à venir.Les auteurs d’Hermès invités dans cet ouvrage abordent ces questions chacun à leur façon, pour rendre compte des effets de la mondialisation et des formes de résistance qu’elles suscitent.Les premiers articles dressent un bilan historique des travaux menés par les chercheurs sur ces questions. Armand Mattelard revient sur les théories de la mondialisation pour conclure que les études abordant ce sujet tendent à sur estimer les capacités des flux de communication à générer de la diversité culturelle, tout en sous-estimant la prégnance des logiques hégémoniques qui les animent. Nancy Morris et Philip Schlesinger élargissent le point de vu à l’Amériques du sud en présentant les thèses du célèbre anthropologue Canclini à l’initiative du concept d’hybridation des cultures. Jan Baetens lui montre l’apport des des cultural studies à l’études des « culture populaire ».Une seconde série d’articles étudient plus particulièrement certains aspects des mutations culturelles liées à la mondialisation. Jean Pierre Doumenge et Serge Proulx analysent comment les identités et le sentiment d’appartenance évoluent, se reconfigurent, aussi bien pour les habitants confinés dans les territoires ultra-marin que pour les diasporas dispersées de par le monde. Olivier Le Deuff quant à lui aborde la problématique de la diversité culturelle au prisme de la numérisation, tandis que Joanna Nowicki liste les éléments méthodologiques d’une anthropologie interculturelle reposant sur l’histoire de chaque nation, assumée sans complaisance, ni repentance. Les derniers articles sont consacrés à la défense de la diversité culturelle. Joëlle Farchy et Heritiana Ranaivoson, expliquent pourquoi on ne peut laisser au marché le soin de préserver la diversité, et en même temps que les choix politiques en la matière ne sont parfois contreproductifs. Michaël Oustinoff revient tout particulièrement sur le contexte juridique et politique dans lequel ont été adoptées les textes de l’UNESCO pour défendre la diversité des expressions culturelles, tandis que de son coté, Françoise Albertini analyse les conditions de reviviscence des cultures populaires en racontant la longue marche des polyphonies corses jusqu’à leur classement par l’UNESCO. Enfin, Dominique Wolton fait de la défense de la diversité culturelle dans le respect des valeurs de l’universalisme, un des grands défis politiques de la période actuelle, à l’aube de ce qu’il appelle la troisième mondialisation.BibliographieBAUMAN, Z., Identité, éd. L’Herne, 2010, traduit de l’anglais, (1re éd. 2004).BRAUDEL, F., L'identité de la France. Espace et histoire, Paris, Flammarion, 1990 (1re éd. 1986) A.BRAUDEL, F., L’Identité de la France, Les hommes et les choses, 2 tomes, Paris, Flammarion, 1990 (1re éd. 1986) B. BRAUDEL, F., La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (2 volumes), Paris, Armand Colin, 1987 (1re éd. 1949).CUCHE, D., La Notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 1998.DUBY, G., Mâle Moyen Âge, De l’amour et autres essais (chapitre : Orientation des recherches historiques en France), Paris, Flammarion, 1990, p. 241.JOURNET, N. (dir.), La Culture, de l’universel au particulier, Paris, Sciences humaines, 2002.JUCQUOIS, G., in Ferréol, G., Jucquois. G. (dir.), Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, Paris, Armand Colin, 2003, p. 45-46.LECLERC, G., La Mondialisation culturelle, Les Civilisations à l’épreuve, PUF, 2000.LIPOVETSKY, G., JUVIN H., L'occident mondialisé : Controverse sur la culture planétaire, Paris, Grasset, 2010, p. 161. MAFFESOLI, M., « Tribalisme post moderne », in Rasse, P., Midol, N., Triki, F. (dir.), Unité et diversité, Les Identités culturelles dans le jeu de la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 141 et suivantes.RASSE, P., La rencontre des mondes : Diversité culturelle et communication, Paris, Armand Colin, 2006.RASSE, P., (sous la dir.), La mondialisation de la communication, Les essentiels d’Hermès, Paris, Ed. CNRS, 2010.RASSE, P., Ghinéa L., « Persistances et mutation des dernières sociétés rurales : Le cas du pays Maramures », Terrain, Carnets du patrimoine ethnologique, Éd. Documentation Française/Ministère de la culture, N°57, 2011.WARNIER, J.-P., La Mondialisation de la culture, Paris, La Découverte, 1999.WEBER, E., La Fin des terroirs, La Modernisation de la France rurale, 1870 – 1914, Paris, Fayard, 1998.WOLTON, D., L’Autre mondialisation, Paris, Flammarion, 2004. WOLTON, D., Indiscipliné, 35 ans de recherches, Paris, Odile Jacob, 2012.

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Exporter en