2023
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Daniel Foliard, « La photographie comme absence : histoires en creux (Afrique, fin XIXe-début XXe siècle) », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.kt3tfs
Le matériau photographique impose une présence parfois écrasante et déformante, notamment en matière d’écriture de l’histoire. Les premiers enregistrements visuels des mondes sociaux africains par la photographie ont parfois eu pour effet de modeler pour longtemps les images du continent. Les recirculations contemporaines des images de la fin du xixe et du début du xxe siècle n’ont souvent fait que consolider ce phénomène. Construit en contrepoint, cet article envisagera une histoire paradoxale de la photographie en la considérant non pas pour sa présence, mais précisément pour son absence. En un travail historien étayé par des sources photographiques et écrites s’étalant des années 1870 à 1910, cette contribution se focalise sur la photographie comme absence, comme disparition et comme effacement. Cette histoire en creux se concentre sur plusieurs phénomènes essentiels qui caractérisent la (non)production des images photographiques des mondes sociaux africains à l’âge de l’expansion coloniale. Il s’agit d’aborder en premier lieu la question essentielle de la destruction matérielle des photographies anciennes de l’Afrique. Pour une multiplicité de raisons, une partie de ce qui a été photographié est désormais perdue ou en voie de l’être. L’un des effets majeurs de ce processus a longtemps consisté en un double effacement des pionniers africains de la photographie, mal ou peu représentés dans les archives institutionnelles et ayant souffert d’un investissement historiographique limité, dont l’histoire reste encore à écrire dans bien des cas. Dans un second temps, c’est la question du refus de poser et du refus éventuel de prendre des photographies qui sont évoquées. Plusieurs traces éparses de ces contournements de la photographie seront observées. Le problème de l’autocensure et du caractère très fermé de la circulation de certaines images, notamment celles menaçant la stabilité des récits coloniaux, sera lui aussi étudié dans cette partie. Pour finir, l’article examinera de plus près les prises de vues réalisées par Alex J. Braham. Cet individu, District agent à Ogugu (sud du Nigéria) pour la Royal Niger Company au tournant du xxe siècle, était un passionné de photographie. Son album personnel contient plusieurs vues d’une cérémonie secrète réalisée à l’insu des participants alors qu’il avait réussi à se cacher dans un bâtiment avec son appareil. Exemple d’escamotage (non de la photographie comme image mais de l’acte photographique lui-même), son geste est lui aussi l’une des manifestations possibles des invisibilités qui ont largement participé à former et à déformer les imageries photographiques de l’Afrique.