La fabrique de l'événement: L'écriture de l'histoire dans les oeuvres de Joseph Kessel, Romain Gary et André Malraux

Fiche du document

Date

2024

Discipline
Périmètre
Langue
Identifiants
Collection

Archives ouvertes




Citer ce document

Jonathan Barkate, « La fabrique de l'événement: L'écriture de l'histoire dans les oeuvres de Joseph Kessel, Romain Gary et André Malraux », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.ldikwe


Métriques


Partage / Export

Résumé Fr

Choisir d’étudier trois écrivains-aviateurs gaullistes que l’amitié et l’admiration réciproque rapprochaient tient au fait que l’œuvre de chacun d’eux est largement ancrée dans l’histoire qu’ils ont vécue en témoins attentifs ou en acteurs. La cohérence du corpus repose sur de grandes lignes d’unification thématiques et politiques : l’aviation militaire, la guerre d’Espagne et les deux guerres mondiales. Toutes les œuvres retenues – romans, nouvelles, film, reportages, articles de presse, discours, textes mémoriels, préfaces de recueils – ressortissent à l’histoire immédiate, qu’ils soient absolument contemporains des événements qu’ils relatent, qu’ils leurs soient postérieurs de quelques mois seulement ou de plusieurs dizaines d’années. L’inscription commune des textes factuels et fictionnels dans l’histoire immédiate et le rôle prépondérant joué par le récit dans chacun des genres représentés effacent la disparité générique du corpus dont l’unité repose en outre sur un mélange d’information, de propagande et de commémoration dans des œuvres qui contribuent à ancrer la littérature dans le monde, sans pour autant l’emprisonner dans un présent éphémère. Chez Kessel, Malraux et Gary, l’écriture est un processus dynamique à évaluer dans le temps car l’instantanéité de l’événement est dépassée deux fois : tous trois s’attachent d’abord à déprendre leurs récits de l’actualité, puis ils se livrent à un travail de récriture au moment de les rééditer ou de les intégrer à un ensemble plus vaste (recueils de nouvelles, de reportages ou cycle mémoriel). Écrire revient donc à mettre l’histoire en mots, à la mettre en scène, à la remettre sur le métier, voire à la mettre sous verre quand certains passages récrits corrigent les faits pour livrer des versions officielles. Dès lors, récrire un texte s’apparente à réécrire l’histoire. Entrer ainsi dans l’atelier des écrivains permet d’envisager la dimension artisanale de leur travail sur laquelle repose la fabrique de l’événement. Ni artificielle ni industrielle, cette fabrication implique des opérations historiographiques et scripturaires qui rendent compte d’un événement autant qu’elles en (re)construisent le sens. L’ensemble du corpus est soumis à la tension entre le figement et l’évolution, entre la saisie de l’histoire immédiate et son écriture sur le temps long, entre la définition étymologique de l’événement comme « ce qui advient » et celle de Michel de Certeau pour qui l’événement est « ce qu’il devient ». Cette tension structurante soulève la question du traitement de l’histoire dans le corpus : comment y est-elle pratiquée et quelle interprétation en est donnée ? La réponse est complexe et dépend du sens que l’on donne au substantif pratique. Lorsque les écrivains participent à l’histoire en tant qu’acteurs, leur pratique revient à faire l’histoire parce que leur engagement contribue à influer sur le cours des événements. La fabrique de l’événement implique alors l’appréhension du matériau historique dans sa dimension physique et charnelle. Lorsqu’ils rendent compte de leur expérience ou qu’ils écrivent à partir de témoignages, leur pratique s’apparente à faire de l’histoire et leur démarche historiographique est située au croisement de la tradition de l’histoire événementielle, de la méthode hérodotéenne qui voit en l’historien un témoin et de l’approche annaliste où l’homme et les mentalités sont au centre de l’histoire sociale. La fabrique de l’événement revient ici à concevoir le récit rendant compte de faits vécus. C’est l’étape de construction, de mise en forme. Enfin lorsque Kessel, Malraux et Gary retouchent leurs textes, leur pratique consiste à refaire l’histoire, c’est-à-dire à la reconstruire pour en orienter la lecture et ainsi en donner une interprétation, à la fois parce qu’ils expriment une vision du monde qui trahit leur positionnement éthique, voire idéologique, et parce qu’ils recomposent l’événement pour lui ajouter une dimension mythique qui forge la légende d’un homme ou d’un combat à des fins d’édification et de célébration. Cette ultime étape révèle la nature plastique de l’événement qui, sous la patte de l’artiste, façonne un autre texte.À partir de leurs pratiques et de leur interprétation de l’histoire, il s’agit de montrer comment l’écriture de Kessel, Malraux et Gary construit le sens de l’histoire en conciliant le temps court de la saisie sur le vif et le temps long de la récriture où l’événement est au cœur d’une chaîne unissant les mythes fondateurs sur lesquels il repose et ceux qu’il contribue à créer dans un but politique. Si l’intérêt de la littérature pour l’histoire immédiate est courant dans la première moitié du XXe siècle et s’il n’y a rien d’original à déformer l’événement à mesure que le temps passe, dépasser la dichotomie temporelle pour rapprocher la portée informative et la transformation légendaire constitue une forme nouvelle d’écriture de l’histoire, qui se construit autant sur le compte rendu de faits vérifiables que sur le recours au mythe. En cela, les trois auteurs mettent en œuvre un raisonnement historique grâce auquel ils décryptent le monde, ce qui n’empêche pas que chacun d’eux entretient un rapport particulier à l’histoire : Kessel la lit à travers le prisme de l’actualité, du fait de son métier de reporter, ce qui transparaît dans ses romans-reportages ; Malraux se confronte à elle pour agir, puis il en rend compte en célébrant les héros au nombre desquels il se compte ; Gary revient constamment à l’événement fondateur qu’a été pour lui la Seconde Guerre mondiale en considérant la Shoah comme l’étalon de la folie du siècle. Kessel envisage donc l’histoire par le biais de son double métier, Malraux par sa personne et Gary par sa conscience de combattant et de Juif.

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Sur les mêmes disciplines

Exporter en