1 janvier 2023
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Christelle Lozère, « Peintre du désir. Les « petites femmes » antillaises de Maurice Millière dans « le Gai Paris », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.lg66u3
Peintre et lithographe, Maurice Millière se spécialise à partir de 1917 dans l’illustration de charme . La représentation de ses femmes-poupées connaît un grand succès en France et aux États-Unis. Installé dans le quartier de Montmartre, son style précurseur de la « de pin up » est nourri par l’ambiance légère des cabarets parisiens où la mixité raciale des corps dénudés est fantasmée par les artistes de l’avant-garde. Après un séjour en résidence d’artistes en Guadeloupe et en Martinique, le peintre se spécialise dans les sujets antillais tout en conservant son esthétique érotique et sensuelle. Ses portraits d’Antillaises, objets de contemplation, mais aussi de désir et de consommation, tels que la Martiniquaise au tray de bananes (1930), Un beau fruit des Antilles (1930) sont salués par la critique, car ils répondent subtilement par leur graphisme à la dimension mondaine et élégante de l’iconographie antillaise assimilationniste tout en gardant les codes du dessin érotique. L’artiste se plaît à naviguer entre les deux imaginaires des Antilles à travers un jeu de contradiction, de superposition et de métamorphose des images. Le premier imaginaire véhiculé est conforme à l’esthétique de l’école coloniale antillaise des beaux-arts, façonné par la Société coloniale des Artistes français. Ses Martiniquaises et Guadeloupéennes, telles des « Reines des Antilles », des « perles », des « émeraudes », incarnent la beauté et l’élégance des femmes des « vieilles colonies » avec leur costume traditionnel, la finesse de leurs traits, leur port de tête altier, leur bijouterie impressionnante, leur sophistication métissée. Mais en modifiant leurs regards et leurs attitudes, l’artiste apparaît aussi dans l’entre-deux-guerres comme le maître de l’érotisme, lorsque ces mêmes petites femmes, devenues objets de fantasme blanc, illustrent les magazines de charme avec les épaules ou la poitrine dénudée et un sourire invitant à la rêverie lubrique. Sous couvert de légèreté et de sensualité, la vision stéréotypée des petites femmes de Millière alimente les clichés de genre et raciaux au moment même où la société française glorifie les bienfaits de la colonisation tout en s’interrogeant inlassablement sur le droit de vote des femmes.