Tricheuses! Jeux de cartes et de regards dans la peinture de la première modernité

Résumé Fr

Parallèlement à la diffusion des cartes à jouer en Europe entre la fin du Moyen Âge et la première modernité, les pratiques ludiques tout comme la tricherie deviennent un sujet de productions artistiques et, dès le XVIIe siècle, un genre pictural à part entière. Les cas présentés dans cette étude sont tous septentrionaux : saisissant sur le vif la tricherie dans des parties où participent aussi des femmes, ces scènes sont pensées comme des « arrêts sur image » prenant en flagrant délit les coupables. Ce genre de dispositif connaît un véritable essor avant même les tableaux matriciels que sont Les tricheurs de Caravage et les deux parties de Georges de La Tour. Pour dépasser une vision de ces représentations de la tricherie au féminin comme les traces visuelles de discours misogynes liés au « pouvoir de la femme », de l’infirmitas ou imbecillitas sexus héritée du droit romain, cet article examine les modalités de figuration et de réception de la tricherie. Les dispositifs développés par les artistes semblent inviter l’observateur à prendre part virtuellement à l’action. Les artifices de l’image et de la tricherie par les femmes sont mises en dialogue avec la diffusion de la littérature sur la probabilité de Jérôme Cardan (Liber de ludo aleae, 1663), et le traité sur l’addiction au jeu de Pasquier Joostens (Alea, 1561). Grâce à l’étonnante plasticité métaphorique des imaginaires de la femme joueuse et du jeu, ces productions visuelles permettent une interprétation renouvelée non seulement des pratiques ludiques figurées, mais aussi des artifices de l’art et du « pouvoir » des images.