„Ich lebe und lebe nicht“

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14 mars 2018

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Antonia Eder, « „Ich lebe und lebe nicht“ », Presses Sorbonne Nouvelle, ID : 10670/1.m3jhin


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Comme l’a montré Judith Butler, la catégorie sociale du genre occupe une place centrale dans l’étude des discours narratifs, permettant ainsi d’interroger le corps. Le langage et les signes ont une fonction déictique évidente en ce qu’ils renvoient à autre chose. La figure du monstre assure une telle fonction : le monstre « se montre ». Il symbolise à la fois l’anormalité et l’autre. Le personnage d’Électre imaginé par Hofmannsthal lie l’horreur à l’obscène corporel : créature hybride, elle met en doute toute logique de distinction et figure un mouvement qui renvoie tant à un espace référentiel extérieur qu’à sa propre médialité. Dérivé du latin « monere », c’est-à-dire avertir, rappeler ou sanctionner, le vocable « monstre » insiste sur le fait que l’héroïne hofmannsthalienne incarne une mémoire accusatrice. Électre représente la mémoire vivante, le témoignage d’un crime passé qui doit être vengé. Mais elle n’est ni un être humain ni un animal : elle est plutôt une créature u-topique située dans un « entre-deux » à la fois anthropologique et social. Sa présence naît de la répétition d’un parricide et de l’anticipation d’un matricide. La stratégie du renvoi mémoriel et celle par laquelle le signe indique la présence d’une absence déterminant habituellement les qualités de l’humain plongent ici Électre dans le règne de l’inhumain. Plus l’animalité du personnage de Hofmannsthal est soulignée, plus l’horreur qu’elle inspire s’estompe. Cet aspect est bâti sur une inversion du rapport normalement inquiétant entre l’humain et l’animal. Ce n’est pas sa nature animale qui contribue à l’exclusion d’Électre, mais la radicalité avec laquelle le souvenir se transforme pour revêtir ensuite le caractère de l’inhumain. Car ce n’est qu’au moment où elle oublie qu’elle accède à l’humain.Les motifs sanguinaires que Hofmannsthal reprend dans le but de donner corps à une féminité « hypersexualisée » ou, a contrario, désexualisée sont abordés ici à partir de la gynécocratie et du système patriarcal. Électre est déchirée entre le principe maternel obéissant à la loi du sang et celui de l’expiation caractérisant le patriarcat. Elle se fait ainsi le vecteur d’un pervertissement du cycle de la vie et de la mort. Désespérée, elle tente d’échapper à une image de la féminité qui représente pour elle l’origine d’une violence auto-reproductrice. Elle sacrifie sa propre féminité, aspirant à un ordre patrilinéaire fondé sur la raison. Pourtant, son frère Oreste lui ôte toute prétention à cet ordre identitaire. Il s’ensuit qu’Électre s’érige au rang de prêtresse asexuée animée par un désir de vengeance : elle refuse sa propre corporéité et tente de trouver une place au sein de la hiérarchie masculine. Or, ces vaines tentatives la renvoient inlassablement à l’ordre matriarcal dont elle pense pouvoir s’extraire en cultivant un langage apollinien. Électre se constitue en somme sur la base de sa « non-appartenance » à un genre sexuel. Mais Hofmannsthal fait entrer cette figure dans un troisième ordre, au demeurant mortel : parce qu’elle se livre à la danse extatique d’une ménade, elle est condamnée à une inertie dionysiaque. Elle perd toute légitimité matriarcale et patriarcale.L’humanité culturelle et sociale postulée par le classicisme apparaît en 1900 comme extrêmement fragile, tandis que le moi, souverain et conscient de sa propre existence, vacille. Cherchant à saper les fondements d’un classicisme qui s’était réapproprié l’Antiquité, Hofmannsthal se voulait être un garant de la vie. L’Électre qu’il met en scène s’indigne contre la sérénité et la pâle bonté, telle qu’elle apparaît chez Goethe, Winckelmann et Lessing. Les soupirs qui jalonnent son texte sont en réalité des cris de fureur. Ancrant son œuvre dans la tradition tragique de la poésie archaïque, il tente de conquérir une autre Antiquité, plus sombre et plus mystérieuse. L’analyse de la pièce, telle qu’elle a été entreprise à travers le prisme du monstrueux, ne traduit pas ce qui animera plus tard l’auteur, devenu l’un des précurseurs d’une révolution conservatrice. Pour autant, l’esthétique qu’il met en place par le biais d’une « ré-vision » du mythe des Atrides contribue à ce que la terreur y soit recréée. Dans sa poétique du mythe évoquant le culte dionysiaque et offrant une multitude de motifs archaïques, on retrouve des traits réactionnaires et anti-modernes. On retiendra donc qu’une lecture de l’œuvre axée sur la figure du monstre met en évidence le principe d’ouverture qui la sous-tend. De fait, la subversion dont participent à la fois tout modèle des genres sexuels abolissant les limites traditionnelles et l’u-topie de l’« entre-deux » font d’Électre un mélange entre archaïsme et avant-garde. Démontrant qu’il ne peut exister aucune sphère étrangère au système des genres, à l’anthropologie, ainsi qu’à la temporalité, Électre incarne l’impossible et l’interdit – un interdit qui, transgressé par Oreste, permet en retour la naissance du mythe fondateur. La pièce se clôt ainsi sur deux principes opposés : l’ambiguïté sème le trouble au sein de tout ordre et lève le voile sur les faiblesses du pouvoir.

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