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Sarah Troubé, « Science et scientisme : l’esprit scientifique et le leurre d’une science sans limite », HAL-SHS : histoire, philosophie et sociologie des sciences et des techniques, ID : 10.1016/j.inan.2022.09.008
Contexte : L’article explore les rapports qu’entretiennent la démarche scientifique et le discours scientiste. Nous partons de l’écart entre la rationalité scientifique, qui repose sur l’incertitude, l’incomplétude et l’absence de garantie, et le scientisme qui relève d’une foi dans la toute-puissance de la science, perçue comme pourvoyeuse de résultats certains et exacts. Cette inversion opérée par le scientisme invite à interroger les significations et les usages du terme de scientisme, souvent employé de manière vague et controversée. Objectifs : Distinguer le discours scientiste de la démarche scientifique implique de questionner le statut du terme de scientisme. Ce dernier correspond-il à une position épistémologique clairement identifiable, ou bien a-t-il pour fonction de nommer un ensemble de discours idéologiques hétéroclites et en constante évolution ? La teneur idéologique qui semble attachée de manière intrinsèque à ce terme invite à interroger sa fonction mythique ou fantasmatique : l’image d’une science toute-puissante et sans limite pourrait s’apparenter à une construction défensive, face à l’incertitude difficilement tolérable constitutive de la démarche scientifique. Méthode : La manière dont la certitude et la complétude, exclues de la rationalité scientifique, font retour dans les discours scientistes interroge la construction et la fonction d’une telle image de la science : celle-ci ne peut se réduire à une position épistémologique et doit être analysée comme discours idéologique, ce qui amène à interroger les affinités entre idéologie et fantasme, quant aux fonctions qu’ils sont susceptibles de revêtir au sein du lien social. Résultats : Alors même que le terme de scientisme est parfois employé pour désigner un prolongement ou un excès des prétentions de la rationalité scientifique, il repose au contraire sur un déni de l’incertitude et des limites propre à l’esprit scientifique. Ce fantasme d’une science toute-puissante témoignerait du besoin de certitude propre au narcissisme, mais ses incarnations contemporaines porteraient également la marque de la chute de l’idéal de progrès scientifique propre à la modernité. Interroger les rapports entre démarche scientifique et scientisme met ainsi en lumière l’hétéronomie de la science, qui ne peut trouver qu’à l’extérieur d’elle-même les discours et idéologies susceptibles de la légitimer – ce qui la rend particulièrement perméable à ces idéologies. Conclusion : Rappeler l’écart qui sépare la rationalité scientifique et le scientisme invite à déconstruire cette image idéalisée et hégémonique de la science. Cette déconstruction semble d’autant plus cruciale qu’un certain nombre de dénonciations du discours scientiste, en faisant du scientisme une menace ou un excès inhérent à la démarche scientifique elle-même, courent le risque de donner consistance à ce fantasme d’une science sans limites. Plutôt qu’à une limitation des prétentions de la rationalité scientifique, la critique du scientisme appellerait à interroger quel(s) autre(s) type(s) de discours seraient susceptibles, dans le contexte d’une crise généralisée des mythes fondateurs et des idéologies, de tenir cette fonction de légitimation, sans pour autant dénier le scepticisme critique inhérent à la quête scientifique.