Lire Le Commerce et le Gouvernement : contre l’interprétation néolibérale de Condillac

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2019

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Aliénor Bertrand, « Lire Le Commerce et le Gouvernement : contre l’interprétation néolibérale de Condillac », Les Études philosophiques, ID : 10670/1.mrhtr1


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À la fin du siècle dernier, Le Commerce et le Gouvernement a été l’objet d’une interprétation devenue dominante, qui érige Condillac en précurseur du néolibéralisme. Cet article étudie la succession des biais historiques, méthodiques et philosophiques qui ont conduit à transformer la définition condillacienne de la valeur en théorie de la mathématisation des préférences en fonction des utilités marginales des marchandises. Alors que Condillac est animé par l’ambition explicite de bien faire la langue économique, cette interprétation omet de réinscrire ce texte dans la visée d’ensemble de l’œuvre, qui, dès l’ Essai sur l’origine des connaissances humaines, se voue à étudier les conditions logiques et historiques de l’institution des langues. Or  Le Commerce et le Gouvernement affirme qu’une langue économique exacte est une analyse du jugement de valeur. Condillac, auteur d’une Logique, d’un Art de penser et d’un Art de raisonner, donne au moins deux ou trois définitions différentes du jugement. Aucune ne peut créditer la réduction du jugement de valeur à un calcul sur les prix. Ce déplacement majeur repose sur un vice argumentatif analysé par Condillac lui-même comme le propre de certains faux systèmes, la « réalisation » des abstractions, soit, ici, la transformation d’une réflexion sur les principes du jugement de valeur en relation d’équivalence arithmétique entre des choses, les marchandises. En l’occurrence, cette erreur logique se combine aussi à une illusion d’un autre ordre, la confusion des valeurs et des prix, que Le Commerce et le Gouvernement dénonce comme constitutive des sociétés marchandes. Les bénéfices tirés par les auteurs néolibéraux de leur lecture apparaissent ainsi clairement, notamment une narration de l’histoire de l’économie qui minore les œuvres d’Adam Smith et de Karl Marx, et, avec elles, les analyses des liens de la valeur et du travail. Mais, paradoxalement, cet article découvre aussi ce que la critique de Condillac par Marx doit à Say, et invite en définitive à relire  Le Commerce et le Gouvernement en traquant ce que, dans la langue de Condillac, un « jugement », et un « sujet » peuvent bien signifier.

In the late last century, Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre was the subject of an interpretation that became dominant, making Condillac a precursor of neoliberalism. This paper examines the succession of historical, methodological and philosophical biases that have led to the transformation of Condillac’s definition of value into the theory of the mathematization of preferences according to the marginal utilities of commodities. While the explicit ambition of Le Commerce et le Gouvernement is to improve the economic language, the neoliberal interpretation fails to reintegrate this book into the overall aim of Condillac’s philosophy, dedicated from the Essai onward to stating the logical and historical conditions of the institution of languages. Le Commerce et le Gouvernement asserts that an exact economic language is an analysis of value judgment. Condillac, author of an Art de raisonner, an Art de penser and a Logique, gives at least two or three different definitions of judgment. None can support the reduction of value judgment to price calculation. This reduction constitutes a major shift based on an argumentative defect analyzed by Condillac himself as the characteristic of certain false systems, the “realization” of abstractions – in this case, the transformation of a reflection on the principles of value judgment into a relationship of arithmetical equivalence between things, the “goods”. This logical error is also combined with an illusion of another kind, the confusion of values and prices, which  Le Commerce et le Gouvernement denounces as grounding market societies. The benefits of the neoliberal reading are therefore made clear. This reading promotes a narrative of the history of economy that undermines the analysis by Adam Smith and Karl Marx of the links between value and work. But, paradoxically, this article also emphasizes that Marx’s criticism of Condillac is indebted to Jean-Baptiste Say. It invites us to re-read Le Commerce et le Gouvernement by tracking down what a “judgment” and a “subject” mean in Condillac’s philosophy.

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