2016
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Juliette Grange, « Rousseau, la philosophie française et les nationalités au XIXe siècle : Grèce, Italie, Turquie. », HAL-SHS : philosophie, ID : 10670/1.n63jox
Rousseau, la philosophie française et les nationalités au XIX e siècle. Grèce, Italie, Turquie. Nous tenterons dans cet article d'explorer une hypothèse : il y aurait un geste commun, une structuration de même nature dans la construction des grandes indépendances nationales arrachées au XIX e siècle ou au début du XX e par l'action révolutionnaire ou militaire. Ces grands moments de mise en place des États nations ne sont pas simplement le résultat de la guerre civile ou de l'action politique, ils s'accompagnent d'idées ; la plupart des héros des indépendances se réfèrent nettement à la philosophie française des Lumières, aux droits de l'homme et plus directement encore à Rousseau. Qu'elle est la nature de ces références à la philosophie et particulièrement à l'auteur du Contrat social ? Quel est le rôle joué par la traduction de ce même Contrat social en grec ou en turc ? Quel est celui d'une modernisation de la langue, comment se créent les néologismes, le vocabulaire politique et philosophique inventé ex abrupto en grec ou en turc et dans le contact avec les philosophes des Lumières et la traduction de leurs oeuvres ainsi que la Révo-lution française ? Il est notable par ailleurs, que, en plus de s'accompagner de la création de langues nationales, les moments d'émancipation s'articulent à des oeuvres proprement littérai-res autochtones (poèmes, romans) dont les auteurs sont souvent des hommes d'action eux-mêmes. Une histoire générale des traductions du Contrat social en Europe et autour de la Méditerranée dans leurs liens avec la constitution des États nations serait utile à notre propos. Elle pourrait permettre d'apporter des éléments de réponse à la question qui nous préoccupe : quel-le est la nature de la référence à Rousseau chez Mazzini, Garibaldi ou Mustapha Kemal ? Peut-elle être dite philosophique, rhétorique, idéologique ? Peut-on considérer que Rousseau est un cas à part dans l'usage qui est fait de la philosophie française (les Encyclopédistes, Mably et surtout L'Esprit des lois de Montesquieu). Ne s'agit-il pas simplement de prendre la Révolution française pour modèle ? Quel est le sens de ces références plus philosophiques que politiques ? Les trois situations nationales (la Grèce, l'Italie, la Turquie) décrites dans cet article au travers des figures de Rhigas Vélestinlis, Garibaldi et Mazzini, Mustapha Kemal, constituent une première approche de l'examen de la nature de la réception du Contrat social dans les pays du pourtour de la Méditerranée. N'y at -il pas un geste commun à ces quatre figures, une définition de la " nation " dont le modèle serait français et articulé à des références philosophiques ? L'émancipation des peuples des Balkans de leur tuteur ottoman est-elle un cas d'espèce ? Ce geste commun est-il caractéristique du " printemps des peuples " en général ? Une chose est sûre : les leaders politiques et les hommes d'action qui sont à l'origine de l'indépendance et de la souveraineté des peuples grec, turc ou italien furent des lecteurs de Rousseau et se sont appuyés sur la lecture du Contrat social pour justifier ou initier leur action , ils ont pratiqué ce texte à des degrés divers, mais toujours personnellement et souvent de manière approfondie. De ces moments de prise de conscience de la valeur de la souveraineté nationale et du rôle joué par les philosophes du XVIII e siècle puis de la première partie du XIX e date une forme de mythe de Paris, de la littérature et de la philosophie française, mythe actuellement combat-tu ou dévalorisé pour des raisons plus politiques que doctrinales.