2019
Cairn
Pasquale Porro, « Le nombre six est-il créateur ou créature ? : Indifférence des essences et exemplarisme dans la doctrine thomasienne de la création », Revue des sciences philosophiques et théologiques, ID : 10670/1.n70k85
Parmi les différentes questions des Quodlibeta de la première régence parisienne de Thomas d’Aquin, il s’en trouve une ( Quodl. VIII, q. 1, a. 1, Pâques 1257) particulièrement intéressante du point de vue philosophique, mais sous un titre qui en dissimule, au moins au premier coup d’œil, le véritable contenu : le nombre six, selon lequel on dit que toutes les créatures furent réalisées, est-il créateur ou créature ? La référence est évidemment aux six jours de la création selon le récit de la Genèse, et plus précisément à l’exégèse qu’en avait proposée saint Augustin dans le De Genesi ad litteram (en particulier IV, 7, 14), mais, en réalité, l’article est pour Thomas une bonne occasion de reprendre et réorganiser la doctrine avicennienne de l’indifférence des essences qu’il avait déjà utilisée dès le début de sa production, dans le De ente et essentia. Dans la conception exemplariste de Thomas d’Aquin, l’essence ou nature, en tant qu’elle est pensée par Dieu, précède sa considération absolue, ses instances physiques dans les réalités singulières, et l’être intelligible que la chose reçoit, à partir de l’expérience des choses sensibles, dans l’intellect humain. De cette façon, Thomas donne l’impression de “replatoniser” une théorie qu’Avicenne avait élaborée pour contourner la doctrine platonicienne et néoplatonicienne des universaux (même si Avicenne n’avait pas renoncé à une forme d’exemplarisme en ce qui concerne le rôle des intelligences). Une dernière remarque concerne le primat de l’espèce sur les individus, que Thomas tire de sa conclusion précédente et affirme très clairement dans l’article suivant de la même question quodlibétique.