2005
Laurence Manolakakis, « Les industries lithiques énéolithiques de Bulgarie. », HAL-SHS : archéologie, ID : 10670/1.nirp4n
Partie I : Introduction 1 - Cadre de la recherche Le complexe culturel de Kodžadermen-Gumelni?a-Karanovo VI (KGK) s'est développé dans le sud-est de l'Europe, principalement sur le territoire actuel de la Bulgarie, débordant légèrement sur le sud de la Roumanie (plaine danubienne) et sur le nord de la Grèce (Macédoine orientale et Thrace grecque). Le relief est essentiellement montagneux, percé de quelques plaines (Carte 2) qui départagent cinq régions principales : le Nord-Est, la Thrace, le Nord-Ouest, le Sud-Ouest, la Macédoine orientale grecque. Du fait des montagnes qui l'encerclent, la Bulgarie connaît un climat continental, peu différent aux périodes protohistoriques, chaud et humide à la fin du Néolithique et au Chalcolithique. Le niveau de la mer, avec la hausse rapide des eaux due à l'amélioration climatique du post-glaciaire, déjà considérablement remonté, a continué de s'élever : vers -5000 le niveau se trouvait à 15 m sous le niveau actuel, vers -4000 il se situait à -11 m et vers -3000 à -7 m. Trois systèmes chronologiques principaux sont proposés par H. Todorova, J. Lichardus et J.P. Demoule, dont deux diffèrent quant à la dénomination des périodes (Tabl. 3, 4.1 et 4.2). Ces trois auteurs s'accordent pour reconnaître un complexe culturel Boian-Marica suivi du complexe culturel KGK dans l'est du pays et du complexe Salcu?a-Krivodol- Bubanj Hum Ia dans l'ouest. Ces ensembles constituent ce que J.-P. Demoule appelle la “Zone à Céramique Graphitée” (ZCG). La terminologie adoptée ici agira à deux niveaux : - au niveau synthétique, les périodes (Enéolithique ancien, “moyen”, récent) ; - au niveau intra-site, les cultures, attestées par les niveaux d'occupation (terminologie du fouilleur). Les courbes dendrochronologiques de calibration montrent de très fortes ondulations pour le cinquième millénaire, couvrant jusqu'à 840 ans de décalage. De plus, les prélèvements proviennent pour beaucoup de fouilles anciennes, et la grande majorité des dates ont un écart type très élevé, de ±100 à ±200. Calibrées ou pas, les dates obtenues sont peu instructives. Les trois périodes se chevauchent largement, la période récente apparaissant contemporaine de toute la durée des périodes ancienne et moyenne. On retiendra donc l'estimation générale d'un Enéolithique durant 600 ans environ. La période ancienne, avec le complexe Boian-Marica en Bulgarie (incluant les niveaux “énéolithiques moyens” de Goljamo Del?evo et Ov?arovo) irait de -4900 à -4600 avt.n.è. environ, l'Enéolithique récent s'étendrait de -4600 à -4300 avt.n.è. environ. Le complexe Salcu?a-Krivodol- Bubanj Hum Ia est généralement considéré comme assez tardif dans l'Enéolithique récent, contemporain de la fin du KGK. D'une manière générale, l'Enéolithique balkanique s'étend sur la première moitié du V° millénaire. 2 - Cadre méthodologique Le matériel lithique représente un ensemble cohérent, qui reflète un équilibre entre le besoin, qu'a un groupe donné, d'une certaine quantité et d'une certaine qualité d'objets en silex, et les choix techniques opérés et disponibles parmi l'ensemble des connaissances du groupe. Ces choix sont élaborés à partir du savoir technique dont le groupe dispose, mais aussi en fonction des représentations qu'il en a. Marqués par des contraintes physiques, ces choix sont cependant largement le résultat de contraintes culturelles, ou à un moindre degré, d'“incitations culturelles”. L'assemblage lithique est donc chargé d'informations d'ordres technique, économique et culturel.La présente recherche se focalise sur les habitats et les nécropoles du Nord-Est de la Bulgarie à l'Enéolithique récent et étudie, à titre comparatif, d'une part les habitats de quatre autres régions, d'autre part le matériel de l'Enéolithique ancien dans les sites où il est attesté. Dans ce contexte, reconstituer le détail des chaînes opératoires de débitage, notamment par les remontages, aurait représenté un niveau d'analyse trop fin, inadapté aux objectifs. A partir d'une lecture technologique des pièces lithiques et d'une reconstitution des schémas opératoires, l'étude s'est déroulée en quatre étapes : - la reconnaissance des différentes matières premières exploitées et leur provenance ; - la reconnaissance des différentes techniques de production des supports, ici toujours laminaires, significatives des savoir-faire et habitudes techniques et conceptuelles particulières à un groupe ; - la caractérisation de l'utilisation des supports produits, par une classification préliminaire des outils réalisés sur ces supports, qui reflète autant les représentations mentales collectives de la forme qu'un outil “doit” avoir, qu'un spectre plus ou moins large d'activités liées à l'utilisation de ces outils. Ensuite, l'ordonnancement des faits s'est opéré selon trois axes : - la mise en perspective synchronique à l'échelle suprarégionale, par la comparaison de la région de référence (le Nord- Est) avec les quatre autres régions, exprimant d'éventuelles particularités régionales ; - la mise en perspective diachronique, d'abord régionale puis suprarégionale, par comparaison des habitats de l'Enéolithique récent avec ceux de l'Enéolithique ancien, dans les cinq régions étudiées; - l'intégration des données funéraires, focalisée sur la place des objets lithiques taillés dans les mobiliers, tous contemporains de l'Enéolithique récent et uniquement connus dans le Nord-Est.Pour chacun des sites étudiés, l'intégralité du matériel lithique énéolithique a été analysée. Le matériel est présenté suivant l'ordre logique qui permet de reconstituer les grands segments des chaînes opératoires. Les stigmates observés permettent la mise en évidence de différents groupes technologiques lorsqu'ils sont systématiquement associés. L'interprétation de ces groupes en terme de techniques de taille est susceptible de modification. Mais les groupes technologiques distingués n'en restent pas moins significatifs de techniques de taille différentes. Les propositions faites quant à certaines de ces techniques sont le fruit de confrontations entre les données du matériel archéologique et celles du matériel expérimental taillé par Jacques Pelegrin (CNRS, UMR7055). La classification des outils a été établie sur la présence et la localisation de traces macroscopiques d'utilisation des bords et sur les caractères de la retouche. Le matériel lithique présentait fréquemment ce genre de traces, dont l'extension et le développement étaient souvent si importants qu'ils permettaient d'identifier comme outils des pièces non retouchées, de distinguer l'aménagement d'une segmentation de celui d'une partie active ou de reconnaître des réutilisations avec changements du fonctionnement. La typologie des outils a été élaborée à partir de l'association hiérarchique de plusieurs critères : 1- La présence de traces d'usure macroscopiques : émoussé, esquillement ou retouche d'utilisation, poli ou luisant, lustre. 2- La localisation des traces, lorsqu'elles se développaient sur la retouche. 3- Le caractère de la retouche, lorsque aucune trace n'apparaissait ou, au contraire, que les traces s'étendaient sur l'ensemble de la pièce. 4- L'ordre des recoupements, soit traces/retouche, soit de différentes retouches de façonnage. 5- Le type de support. 6- Enfin, dans le cas d'association de plusieurs retouches ou de plusieurs traces macroscopiques d'utilisation se recoupant les unes les autres à l'oeil nu, c'est au dernier outil qu'est attribuée la pièce. Cette typologie comprend 16 classes d'outils, regroupant chacune un ou plusieurs types. Le matériel provient de tells. Des mélanges ou des intrusions dans les deux directions verticales entre des niveaux d'occupation (villages) différents sont toujours présents, évalués à environ 10 % du matériel. L'étude a procédé dans un premier temps niveau par niveau, puis à la synthèse d'un ensemble de niveaux correspondant à la période ancienne ou récente de l'Enéolithique. La mise en évidence de traits récurrents dans les productions lithiques ne peut pas s'opérer sur quelques pièces isolées, mais sur la cohérence générale des ensembles étudiés. La faiblesse du corpus de certains sites est tempérée par un raisonnement fondé uniquement sur la présence et jamais sur l'absence. Deux habitats sont des sites de référence (Smjadovo et Sitagroi) : livrant plus de 3000 pièces chacun (non compris les petits éclats d'entretien et de retouche), ils permettent un certain contrôle de la représentativité des autres sites étudiés. Ces deux habitats de référence se complètent tant chronologiquement que géographiquement. 3 - Etude des matières premières Les silex font l'objet d'une description macroscopique, pratiquée de manière identique sur l'ensemble des sites étudiés. L'inventaire des variétés de silex ainsi identifiées est ensuite comparé aux données géologiques actuellement disponibles qui représentent autant de sources potentielles. Puis une attribution de ces sources potentielles à des classes de distances est effectuée. Ces distances, locale, régionale, exogène, sont évaluées en fonction de leur éloignement dans l'espace et du temps nécessaire pour atteindre les sources et en revenir en tenant compte du relief. Ces classes de distances ne qualifient pas le mode d'accès aux sources. Il est souvent tenu pour évident qu'une source locale induit un approvisionnement direct et, symétriquement, qu'une source exogène induit un approvisionnement indirect, par le jeu “d'échanges”. Or les implications interprétatives (économiques, sociales, culturelles) seront d'autant plus complexes qu'on parlera “d'échanges”, “d'importations”, voire de “commerce”. C'est pourquoi, en l'absence d'identification avérée des origines précises des pièces archéologiques, lorsque plusieurs gisements potentiels existent, la source potentielle la plus proche du site a été retenue dans un premier temps. Par ailleurs, avec ou sans certitude sur la localisation des sources d'approvisionnement, c'est l'étude technologique de toutes les variétés de silex des assemblages lithiques recueillis dans les sites archéologiques qui apportera des éléments décisifs pour ce type d'interprétations. L'analyse du débitage fournira des indices sur les lieux de préparation et de mise en forme des nucleus, sur les lieux de débitage et, par conséquent, sur la forme sous laquelle les objets lithiques sont parvenus dans le site, sans parler du fait qu'une telle étude peut mettre en évidence des débitages différents. L'étude simultanée de plusieurs sites énéolithiques dans une vaste zone a compliqué la tâche quant à la reconnaissance des provenances de silex, mais elle constitue à l'inverse une aide majeure pour l'interprétation des modes d'accès aux matières premières car elle permet des comparaisons sur la distribution de ces silex et la forme sous laquelle ils apparaissent.Résumé Partie II : Les habitats du Nord-Est Les cinq habitats analysés, ainsi que la douzaine d'autres sites documentés par ramassages de surface, dragages ou publication, se répartissent sur tout le Nord-Est (Carte 107). Le débitage de l'Enéolithique récentLes matières premières exploitées, les silex brun jaune, sont rapportées à des sources potentielles locales ou régionales. La technologie du débitage est caractérisée dans tous les sites par : la pratique d'un débitage par percussion indirecte pour la production de supports laminaires de 10 à 15 cm de longueur, larges et épais. Les lames sont arquées, à gros talon lisse à cône incipient, bulbe diffus et nervures régulières. Toutes les étapes de la chaîne opératoire, à l'exception parfois du dégrossissage, sont attestées et sont donc effectuées dans chaque habitat ou à forte proximité. Ces opérations se déroulent sur plan de frappe lisse unique. Le dégrossissage, souvent par percussion directe (parfois au percuteur dur), sans préparation du plan de frappe, n'est pas toujours effectué dans l'habitat, mais peut-être sur le site d'approvisionnement. La mise en forme est faite par grands éclats en percussion directe, puis par crêtes, en percussion indirecte. Le plein débitage par percussion indirecte, avec suppression ou abrasion de la corniche, commence très rapidement, sur surface de débitage encore très corticale et plan de frappe parfois aussi encore cortical. Le rattrapage des réfléchissements, très fréquents, est fait dans le même sens de débitage que le plein débitage, sous forme d'éclats laminaires. La carène est entretenue par lames à crête partielles ou unilatérales, le cintre et la carène par éclats laminaires. Ce débitage constitue le fonds commun technologique de tous ces sites, malgré une diversité dans son exécution. Ces nombreux éléments (approvisionnement en silex local, débitage local, variabilité d'exécution intra- et inter-site) permettent de qualifier cette production de débitage domestique. A côté du débitage domestique, les sites livrent quelques lames d'un débitage par pression. Les éléments observables indiquent un débitage sur plan de pression lisse, unique, sur grand nucleus plat à table étroite. Les lames produites sont longues voire très longues (20 à 34 cm de long), larges et minces, de profil rectiligne, seulement un peu arqué en partie distale, à très petit talon lisse, bulbe net et nervures rectilignes. La légèreté et la régularité de ces lames est telle (30 cm et plus) qu'elle interdit un débitage par pression debout puisqu'elle implique une pression de plusieurs centaines de kilogrammes. Une telle pression ne peut être obtenue que par pression au levier, une technique testée par des expérimentations. Les sites ne livrent pas les témoins des étapes de la chaîne opératoire du débitage et les lames sont toujours en faible quantité, puisqu'elles ne dépassent jamais 12 % du plein débitage d'un site. Ainsi ces lames ont été apportées dans ces habitats sous forme de produits semi-finis et ceci bien que la matière première utilisée soit identique à celle utilisée pour le débitage en percussion indirecte. L'obtention de très grandes lames débitées par pression nécessite de disposer de très grands rognons dans un silex de particulièrement bonne qualité, très homogène, à grain très fin. Les gisements de silex brun jaune de très bonne qualité (tels que ceux de la région de Razgrad) n'existent qu'en assez faible nombre et se trouvent, de ce fait, dans un rayon local pour certains des sites étudiés, mais beaucoup plus éloignés pour d'autres. L'hypothèse d'une production extra-régionale de ces lames est exclue puisque la matière première utilisée est spécifique au Nord-Est. Deux hypothèses doivent être envisagées pour l'identification des producteurs de lames débitées par pression (Tabl. 108). Dans la première hypothèse (1 du Tabl. 108), tous les habitats produisent à la fois le débitage domestique et le débitage par pression. Elle implique que : - chacun des sites aurait un accès libre et direct aux quelques sources de très bonne matière première, quelle que soit la distance de ces sources au site ; - les rognons seraient débités par pression ailleurs que dans l'habitat ; - les tailleurs auraient rapporté dans leur habitat, soit quelques lames sporadiquement prélevées dans les séries débitées, soit les séries complètes de lames mais dont ils auraient redistribué ailleurs la majeure partie. Ceci implique que la redistribution des produits semi-finis serait quantitativement plus importante loin des sources et des producteurs qu'à proximité. Dans la seconde hypothèse (2 du Tabl. 108), tous les habitats pratiquent le débitage domestique, mais seuls certains d'entre eux produisent le débitage par pression. Les habitants des sites dont la seule production est domestique et où l'on trouve des produits semi-finis par pression s'approvisionneraient en petites quantités de lames auprès des sites de production des grandes lames par pression. Cette hypothèse implique que : - un petit nombre de sites seulement aurait un accès libre et direct aux quelques sources de très bonne matière première ; - ces sites producteurs seraient les seuls à pratiquer un débitage par pression, en particulier par pression au levier, dont ils distribueraient une partie des produits aux autres sites de la région. Aucun des sites étudiés ne peut être identifié comme site de production de grandes lames par pression, à l'exception possible des sites de Top?ii mais surtout de Kamenovo, seuls à avoir livré des déchets de débitage par pression. C'est cette deuxième hypothèse qui est retenue, celle d'une production par quelques sites spécialisés du Nord-est, hypothèse qui sera étayée ou infirmée par l'étude comparative d'habitats d'autres régions dans la troisième partie de ce travail. L'outillage de l'Enéolithique récent Le débitage domestique par percussion indirecte constitue l'essentiel des supports de l'outillage. Très largement laminaire, il comporte toujours trois types d'outils principaux - les grattoirs, les lames utilisées, les éléments de faucille. Parmi ces trois types, les grattoirs sont toujours les plus abondants. D'autres types sont toujours présents, mais en moindres proportions, tels que les burins et les lames retouchées. Le reste comprend quelques éclats retouchés, des pièces esquillées, des lames appointées, des troncatures, des percuteurs en silex parfois repris sur nucleus du débitage domestique et des pointes de lance ou de flèche. Ces armatures sont de morphométrie variée et de plus ou moins grande dimension. Notons enfin la présence de haches taillées en silex dans la plupart des sites. Certaines de ces haches ont été façonnées sur nucleus du débitage par pression et représentent l'autre type de produit du débitage spécialisé attesté dans l'assemblage lithique des sites, avec les lames de plein débitage. Aucun indice de façonnage dans les sites n'est présent, à l'inverse des tranchants de haches cassées et des éclats de réfection de tranchant. Ces haches arrivent dans les habitats sous forme de produits finis. L'outillage apparaît très homogène d'un site d'habitat à l'autre, mais montre des variations des proportions d'outils, en particulier des trois outils principaux. Ces variations laissent penser que les habitats pratiquaient des activités similaires mais réparties différemment, constituant un indice d'activités préférentielles des habitats. Durant tout l'Enéolithique récent, ni les débitages ni l'outillage ne montrent d'évolution chronologique et les similarités sont importantes d'un site à l'autre. Débitages et outillage sont homogènes dans la culture de KGK-VI de la région du Nord-Est. Les activités préférentielles sont probablement le reflet d'un équilibre dans les productions des différents habitats, que sous-tend un réseau de relations entre ces sites. L'hypothèse des activités préférentielles implique que les sites du KGK sont très liés entre eux du point de vue économique. Perspectives diachroniques A l'exception de Smjadovo et Strašimirovo, tous les sites fouillés possédaient des niveaux d'occupation de l'Enéolithique ancien et/ou des niveaux dits de l'“Enéolithique moyen”. Le matériel de ces niveaux livre un débitage domestique par percussion indirecte et des lames débitées par pression, arrivées dans ces sites sous forme de produits semi-finis. Par rapport à l'Enéolithique récent, le débitage domestique de l'Enéolithique ancien produit des lames plus courtes, plus courbes, à nervures moins régulières et de plus forte épaisseur. On observe la pratique sporadique d'une préparation du plan de frappe par facettage au cours du débitage. Pour le reste du déroulement des étapes de la chaîne opératoire, les procédures sont identiques à celles de l'Enéolithique récent. Les lames débitées par pression ont atteint d'aussi grandes longueurs aux périodes anciennes qu'à l'Enéolithique récent. Elles représentent, dans l'ensemble du plein débitage de chaque site, un pourcentage équivalent à celui de l'Enéolithique récent. Les lames arrivent dans l'habitat sous forme de produits semi-finis. Les outils principaux de l'Enéolithique ancien et “moyen” sont déjà les grattoirs, les éléments de faucille et les lames utilisées. Les autres outils bien représentés sont les lames retouchées, les burins et les troncatures. Les éclats sont parfois utilisés ou retouchés. Les habitats montrent des variations dans les proportions d'outils suggérant la pratique d'activités préférentielles. Propositions d'interprétations des industries énéolithiques du Nord-Est L'ensemble des données permet de mettre en évidence les principaux caractères des industries lithiques de l'Enéolithique dans le Nord-Est (Tabl. 109). Ces caractères ont tous des significations multiples et complexes, dont on peut néanmoins mettre en avant la signification première (la plus immédiatement perceptible), qu'elle soit d'ordre culturel, chronologique ou économique. On observe en premier lieu un important fonds commun, qui se caractérise par le maintien durant tout l'Enéolithique des mêmes pratiques : des traditions techniques communes mais aussi des réseaux économiques comparables de relations entre villages. La tradition technique, participant d'un savoir technique commun dans l'espace et dans le temps, constitue un des aspects de ce qu'on peut appeler plus généralement une tradition culturelle. Cette homogénéité tout au long de l'Enéolithique est un trait qui va dans le sens des études de J. Lichardus, qui considère l'Enéolithique ancien (Néolithique récent pan-européen) dans son ensemble : un complexe culturel Boian-Marica composé des cultures de Marica en Bulgarie et de Boian en Roumanie. Quelques changements semblent toucher le débitage domestique au cours du temps, dans le sens d'une meilleure maîtrise des techniques de débitage et d'un appauvrissement relatif des techniques de préparation du plan de frappe (abandon du facettage occasionnel). Dans l'outillage, la prédominance systématique (même légère) d'outils tels que les grattoirs et l'arrivée de nouveaux outils telles que les haches taillées apparaissent aussi comme des caractères d'ordre chronologique, qui sont peut-être le reflet d'un développement plus important de certaines activités. La quasi omniprésence des lames débitées par pression peut s'interpréter comme la nécessité de disposer d'une petite quantité de grandes lames, débitées par des spécialistes, lames qui sont apparemment d'utilisation non spécifique mais économiquement et socialement nécessaires (réseaux de relations). Cette nécessité paraît recouvrir plusieurs ordres de signification. Elle s'inscrit en effet à la fois dans une tradition culturelle (savoir technique, pratiques, relations sociales) et dans un réseau de relations économiques. Les réseaux économiques constituent des relations non seulement économiques mais aussi sociales. L'étude montre qu'ils sont enracinés dans les traditions culturelles. Du point de vue de la production de l'outillage lithique tout au moins, les réseaux économiques sont organisés en productions partiellement spécialisées et en productions véritablement spécialisées, c'est-à-dire d'une part les activités préférentielles et d'autre part la production spécialisée des grandes lames. Pour que ces réseaux économiques fonctionnent, et ce durant tout l'Enéolithique (c'est-à-dire au moins un demi-millénaire), un équilibre entre les différentes productions est nécessaire, équilibre qui suggère une forte intégration culturelle, économique, sociale, des habitats du Nord-Est de la Bulgarie au début du cinquième millénaire.Résumé Partie III : Les habitats des autres régions Les sites de Thrace livrent un débitage domestique absolument identique à celui du Nord-Est : exploitation de matériaux locaux, rarement régionaux ; dégrossissage léger, peut-être sur le gîte d'exploitation, le reste du débitage étant pratiqué sur l'habitat ou à forte proximité. Lors de la mise en forme, un plan de frappe lisse est aménagé, et éventuellement des crêtes frontales ou latérales. Les produits de débitage sont des lames larges, de 10 à 12 cm de longueur environ, à profil arqué, talon lisse en général épais et cône incipient, corniche souvent supprimée ou abrasée, nervures régulières. L'entretien des surfaces laminaires est toujours réalisé dans l'axe du plein débitage. Les grandes lames débitées par pression originaires du Nord-Est sont apportées sous forme de produits semi-finis dans tous les habitats, et ce dans les mêmes proportions que dans les sites nord-orientaux (environ 10 %). Dans l'outillage, les trois outils principaux sont le grattoir (plus ou moins largement majoritaire), l'élément de faucille et la lame utilisée. Les lames retouchées sont bien représentées et, dans une moindre mesure, les burins. Le reste de l'outillage comprend des pièces esquillées, des lames appointées, des troncatures sur lame, des éclats utilisés ou retouchés, des pointes de lance ou de flèche de types variés. Enfin, des haches en silex exogène d'origine nord-orientale sont attestées. Les sites ont manifestement un outillage comparable, mais des différences de proportions dans les types d'outils peuvent indiquer des activités préférentielles. Thrace et Nord-Est partagent un même fonds commun, tant à l'Enéolithique ancien que récent : du point de vue du débitage domestique et de l'outillage ; du point de vue économique dans l'approvisionnement en matières premières pour le débitage domestique, dans les réseaux de circulation et de relations entre sites producteurs de grandes lames du Nord- Est et sites non producteurs de grandes lames du Nord-Est et de Thrace, et dans la production de l'outillage. Les réseaux de circulation des grandes lames à l'Enéolithique ancien, puis des grandes lames et haches taillées sur nucleus à l'Enéolithique récent, sont stables. Les deux régions s'intègrent donc dans un même ensemble, ce qui corrobore les entités culturelles définies sur la base de la céramique décorée. Aucune différence significative n'existe qui puisse être mise en parallèle avec l'une ou l'autre des cultures céramiques locales, au point que l'identité de la production lithique du Nord-Est et de Thrace semble même plus forte que les affinités partagées entre ces deux régions du point de vue de la céramique. Cela conduit à considérer le Nord-Est et la Thrace comme un seul et même ensemble, qui coïncide avec les complexes culturels de l'Enéolithique ancien (Boian- Marica) et récent (KGK). Les résultats de l'étude de la Thrace renforcent l'hypothèse de la spécialisation de quelques sites nord-orientaux dans la production des très grandes lames. Cette production lithique spécialisée joue un rôle suffisamment important pour que les grandes lames débitées par pression soient apportées sur la quasi totalité des sites de la moitié est de la Bulgarie, circulant ainsi sur des distances qui dépassent 200 kilomètres à vol d'oiseau. Durant l'ensemble de l'Enéolithique, les trois autres régions - Nord-Ouest, Sud-Ouest, Grèce du Nord - se différencient assez clairement de la moitié orientale. En ce qui concerne le débitage domestique, seul le Sud-Ouest semble exploiter majoritairement des silex régionaux, tandis que Nord-Ouest et Grèce du Nord s'approvisionnent en matériaux locaux. Dégrossissage, mise en forme et débitage sont réalisés dans le site ou à forte proximité, sauf en Grèce du Nord à la période ancienne, où le dégrossissage et la mise en forme sont effectués loin de l'habitat. En ce qui concerne le débitage, ces trois régions ont en commun la production de lames assez courtes et épaisses (de 6 à 10 cm de longueur en général), réalisée apparemment en percussion directe tendre. Autre point commun qui les différencie de la moitié orientale, l'entretien de la table est couramment fait à partir des flancs ou de la base. Les débitages domestiques du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de Grèce du Nord présentent donc un certain nombre de similitudes, tant à la période ancienne que récente, mais se distinguent les unes des autres sur deux points essentiels : la pratique du facettage et l'occurrence des grandes lames débitées par pression. Pour ce qui est du facettage, plus on descend vers le sud plus il est pratiqué : fréquent dans le Nord-Ouest, il est prédominant dans le Sud-Ouest et seul attesté en Grèce du Nord. En ce qui concerne les produits du débitage par pression, originaires du Nord-Est, les grandes lames apportées sous forme de produits semi-finis ont des proportions variables selon les sites, les régions et la période. A la différence de la moitié orientale, aucune grande lame n'a été retrouvée entière, les plus grandes longueurs observées sur les fragments n'atteignant qu'une quinzaine de centimètres. En outre, si elles semblent bien être attestées dans chaque habitat à l'Enéolithique ancien, ce n'est plus le cas à l'Enéolithique récent dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest. Les grandes lames représentent, au maximum, 7 % du plein débitage d'un habitat en Grèce du Nord aux deux périodes et dans le Sud-Ouest à l'Enéolithique ancien, mais n'atteignent que 3 % environ dans le Nord-Ouest aux deux périodes. En ce qui concerne l'outillage, le Nord-Ouest se détache plus particulièrement tandis que le Sud-Ouest et la Grèce du Nord montrent de nombreux parallèles entre eux d'une part, et des similitudes avec la moitié orientale d'autre part. Dans la zone sud-occidentale et méridionale comme dans la zone orientale, les grattoirs sont fortement représentés dans l'outillage, et dans une moindre mesure les lames utilisées. En revanche, la préférence est accordée au fragment mésial comme support des grattoirs (outil prédominant) dans la moitié occidentale, tandis que c'est le fragment proximal, voire la lame entière, qui est plutôt choisi dans la moitié orientale. Les burins sont quasiment absents dans l'outillage de la moitié occidentale, alors qu'ils sont toujours assez bien représentés dans l'outillage de la moitié orientale de la Bulgarie. A l'Enéolithique récent, l'armature de flèche triangulaire à profonde coche basale est attestée dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, type absent dans l'Enéolithique de la moitié orientale. Aucune hache taillée sur nucleus du débitage par pression n'est signalée dans le matériel des sites de toute la moitié occidentale à l'Enéolithique récent. Enfin, les éléments de faucille du Sud-Ouest, de Grèce du Nord et de la moitié orientale, sur lame ou éclat laminaire, montrent une extension oblique du lustre, tandis qu'il s'agit d'éléments de faucille sur éclat souvent denticulé dont le lustre est parallèle au bord dans l'Enéolithique ancien du Nord-Ouest. Les productions domestiques et l'outillage de chacune des trois régions à l'Enéolithique récent s'enracinent clairement dans une tradition locale de la période précédente. En revanche, les comparaisons inter-régionales, en particulier avec la moitié orientale, offrent une image contrastée du point de vue de l'outillage d'une part, et de celui des réseaux de circulation d'autre part. Les réseaux de relations du Nord- Ouest ne sont pas équivalents à ceux mis en évidence dans la moitié orientale. De même que la densité de circulation des produits du débitage par pression dans le Nord-Est et en Thrace avait été interprétée comme le signe d'une forte intégration économique des habitats de ces deux régions, à l'inverse, les sites du Nord-Ouest ne sont pas fortement intégrés (du point de vue lithique au moins) dans les réseaux de relations de la moitié est de la Bulgarie. Ainsi, c'est sur l'ensemble de la production du Nord-Ouest que portent les dissimilarités, donc sur une portion du système technique lui-même, pendant tout l'Enéolithique. Le particularisme du Nord-Ouest reflète d'autres traditions, conceptions et savoir technique du débitage, du façonnage, et d'autres traditions et représentations culturelles des outils. Les études céramiques distinguent, dans l'Enéolithique ancien, la culture de Gradešnica dans le Nord-Ouest et le groupe de Pasarel dans le Bassin de Sofia, qui présentent des affinités, et sont partiellement contemporains de la culture de Marica en Thrace et des cultures de Sava et de Poljanica dans le Nord-Est. Dans l'industrie lithique, la différence n'est pas perceptible entre Bassin de Sofia et Nord-Ouest mais est nettement marquée avec la Thrace et le Nord-Est. Pendant l'Enéolithique récent, du point de vue céramique, la culture de Krivodol du Nord-Ouest et du Bassin de Sofia est intégrée dans le complexe Salcu?a-Krivodol-Bubanj Hum Ia. Si les éléments céramiques communs avec le complexe KGK sont nombreux, notamment avec la culture thrace de Karanovo VI, les dissimilarités dans les décors et les formes de la céramique sont suffisamment importantes pour distinguer deux complexes culturels. Dans son ensemble, la production de l'outillage lithique concorde bien avec la différence d'appellation culturelle. C'est dans le débitage surtout que se marquent les similarités du Sud-Ouest et de la Grèce du Nord avec le Nord-Ouest. Mais du point de vue des réseaux de relations, l'intégration du Sud-Ouest et de la Grèce du Nord dans les mêmes réseaux de relations que ceux de la moitié orientale est plus importante que celle du Nord-Ouest. A l'Enéolithique récent, ces réseaux de relations restent apparemment stables dans la moitié orientale et concernent tous les sites, tandis que l'apport de grandes lames au sud et sud-ouest est possible mais pas avéré. Les réseaux de relations marquent en tous cas une perte de leur importance à l'Enéolithique récent dans la moitié occidentale, soit qu'ils ne perdurent qu'avec quelques sites seulement et dans de faibles proportions (Nord-Ouest et peut-être Sud-Ouest), soit qu'ils disparaissent éventuellement dans le Sud-Ouest. Le Sud-Ouest atteste d'importantes particularités régionales à la fois dans le débitage et dans l'outillage. Du point de vue de la céramique, l'Enéolithique ancien présente de fortes similarités avec la culture thrace de Karanovo V, qui appartient au complexe culturel Boian-Marica, mais en diffère suffisamment pour qu'un “groupe” ou une “culture” de Slatino aient été distingués. De même, si des parallèles sont faits avec le groupe de Pasarel dans le Bassin de Sofia et la culture de Gradešnica dans le Nord-Ouest, les dissimilarités sont marquées. A l'Enéolithique récent, le “groupe de Pernik” dans le Sud-Ouest est individualisé bien qu'il montre des parallèles d'une part avec le complexe de KGK en Thrace, et le complexe de Salcu?a-Krivodol-Bubanj Hum Ia dans le Nord-Ouest d'autre part. Les comparaisons céramiques et lithiques ne coïncident pas tout à fait ici. Pendant tout l'Enéolithique, le Sud-Ouest se distingue assez nettement des autres régions du point de vue de la technologie du débitage. Pendant l'Enéolithique récent, des parallèles d'ordre économique sont présents dans l'outillage essentiellement avec la moitié orientale et un unique point de comparaison stylistique est attesté avec le Nord-Ouest. Au cours de cette même période récente de l'Enéolithique, le Sud-Ouest est beaucoup moins intégré aux réseaux de relations de la moitié orientale de la Bulgarie, Thrace et Nord-Est. Débitage domestique, outillage et apport de grandes lames témoignent par conséquent d'une tradition culturelle et économique commune au Sud-Ouest et à la Grèce du Nord. Cette homogénéité remarquable incite à regrouper ces deux régions du point de vue des industries lithiques en un ensemble sud-occidental, qui se distingue du Nord-Ouest et de la moitié orientale dans son débitage domestique, mais est mieux intégré que le Nord-Ouest dans les réseaux de relations de la moitié orientale à l'Enéolithique ancien. Il semble être beaucoup moins fortement intégré à ces réseaux à l'Enéolithique récent.Résumé Partie IV : Ensembles funéraires 1 - Les pratiques funéraires Les ensembles funéraires ne sont documentés que dans le Nord-Est (Carte 259). Presque tous appartiennent à l'Enéolithique récent. Les deux ensembles de Varna sont, avec Reka Devnja, les seuls dont l'habitat ne soit pas connu. 1.1 - Les tombes Les mêmes positions du squelette se rencontrent aux deux périodes : replié, allongé, en dépôt secondaire. L'Enéolithique récent est marqué par l'apparition de sépultures symboliques (à mobilier mais sans squelette), simples ou à masques (Tabl. 260). Les proportions des différents types de tombes ne sont pas connues pour l'Enéolithique ancien. A la période récente, les tombes allongées peuvent aussi bien être absentes que prédominantes dans les petits ensembles funéraires et sont prédominantes dans les grandes nécropoles. Les inhumations secondaires sont assez rares et représentent peut-être la fin d'une survivance de la période ancienne, semblant être remplacées progressivement par les tombes symboliques. Les tombes symboliques simples sont présentes aussi bien dans de grands ensembles que dans de petits tandis que celles à masque ne sont attestées qu'à Varna I. L'orientation des tombes varie non seulement à l'intérieur même d'une nécropole mais d'un ensemble funéraire à l'autre (Tabl. 261). 1.2 - Le mobilier Les matériaux qui composent les objets du mobilier funéraire sont variés dès l'Enéolithique ancien, mais plus encore à l'Enéolithique récent (Tabl. 262). Tous les matériaux attestés dans l'Enéolithique ancien le sont aussi à l'Enéolithique récent. La plupart sont d'origine potentiellement locale et presque tous proviennent du Nord-Est. Mais dès l'Enéolithique ancien, des matériaux exogènes sont présents : cuivre thrace et surtout spondyle et dentales, dont l'origine la plus proche est la côte nord-égéenne. S'y ajoute l'obsidienne dont les sources les plus proches sont celles du Tokaï en Hongrie à près d'un millier de kilomètres, ou celles plus probables de Milos en Egée à quelque 800 kilomètres. D'une manière générale, l'Enéolithique récent voit une augmentation de la diversité des matériaux, mais il s'agit de matériaux essentiellement locaux ou régionaux. A l'Enéolithique récent, les outils sont plus variés : armatures de flèche ou de lance en silex ou cuivre et ébauches d'outils en cuivre. Mais c'est surtout la classe des “objets” (pour la définition, cf. p. 225) qui montre une diversification remarquable : figurines, diverses formes d'appliques, sceptres, clous, diadèmes, disques, embouts, tubes, haches miniatures, etc. (Tabl. 215). Les catégories d'objets (type d'objet selon son matériau) montrent que la diversification observée à l'Enéolithique récent concerne en particulier les objets en métal, surtout en or, et les perles : perles en or, os et spondyle à l'Enéolithique ancien, elles sont aussi en marbre, minéral noir, malachite, quartz, kaolin et coquilles d'escargots à la période récente. Du point de vue lithique, les produits du débitage par percussion indirecte sont présents dans presque toutes les tombes, tant anciennes que récentes, de même que les grandes lames débitées par pression au levier. Il semble que les grandes lames en silex, brutes de débitage, sont débitées dans la perspective immédiate de l'inhumation. Cependant, l'étude des ensembles funéraires a mis en évidence un troisième groupe technologique : le débitage par pression à la béquille, débitage évoqué sans avoir pu être formellement reconnu dans le matériel des habitats du Nord-Est. Les pièces déposées dans les tombes, tant à la période ancienne que récente, sont surtout des lames, le plus souvent brutes de débitage, déposées entières ou fragmentaires. Les outils de l'Enéolithique ancien sont uniquement représentés par les lames à bi-troncature (armatures tranchantes), tandis que ceux de l'Enéolithique récent comprennent lame retouchée, burin, grattoir, pièce retouchée et armature perçante de flèche ou de lance. Al'Enéolithique récent, les grandes lames sont le plus souvent déposées le long du bras ou auprès du thorax, parfois des hanches, tandis que les fragments de lames ou les lames plus courtes ont tendance à se trouver près de la tête. 2 - L'organisation sociale 2.1 - Varna I A l'Enéolithique ancien comme à l'Enéolithique récent, le mobilier varie fortement d'une tombe à l'autre dans un même ensemble, et d'un ensemble à l'autre. Particulièrement évidentes dans la nécropole récente de Varna (Varna I), ces différences entre mobiliers funéraires ont depuis longtemps été interprétées comme significatives d'une société hiérarchisée. Il a paru de ce fait indispensable de définir la richesse ou la pauvreté d'une tombe. Le décompte des catégories d'objets par tombe permet de mettre en évidence les différences qualitatives et quantitatives entre mobiliers et montre que les tombes contiennent de 0 catégorie d'objet (tombes sans mobilier funéraire) à 25 catégories d'objets (Tabl. 216 et Fig. 217). Cinq classes de richesse sont ainsi définies (Tabl. 264). Les tombes très pauvres sont présentes en quantité non négligeable, tandis que les tombes riches ne concernent que quelques sépultures. Les tombes très riches cumulent 74,7 % des catégories d'objets alors qu'elles ne représentent que 3,7 % des tombes. Elles comprennent aussi le plus grand nombre d'exemplaires par catégorie. La majorité des catégories d'objets déposées dans les tombes pauvres et moyennes le sont également dans les tombes riches et très riches. Parmi les 32 catégories uniquement attestées dans les tombes riches et très riches, plus de la moitié (19) sont des objets uniques dans toute la nécropole. D'autres sont présentes dans au moins deux tombes et peuvent être considérées comme spécifiques des tombes riches et très riches. L'or, comme les autres matériaux, n'est pas exclusivement réservé aux tombes riches et très riches. Ainsi le matériau proprement dit n'est pas pertinent comme symbole de pouvoir. La multiplicité (objets, matériaux, nombre d'exemplaires du même objet dans une tombe, complexité des associations) témoigne aussi d'un temps de fabrication et de mise en place plus long ou plus complexe du mobilier des tombes riches que pour les tombes moins riches. La longueur maximale des grandes lames augmente avec la classe de richesse (Fig. 234 et 266), même si les lames de longueur plus faibles sont attestées dans toutes les classes de tombes. Cette occurrence des plus grandes longueurs et des indices indirects comme les fragments de lames différentes mis bout à bout et simulant une lame entière démontrent la valeur accordée à la longueur dans le rituel funéraire de l'Enéolithique récent et dans la société elle-même. Aucun lien ne peut être établi entre la richesse de la tombe, symbole d'un statut de pouvoir, et les producteurs de grandes lames débitées par pression au levier. La très grande lame de silex a une valeur complètement symbolique pour un statut de pouvoir élevé. Aucune corrélation ne permet de relier les objets à un sexe, un âge ou un type de tombe. Les seules tendances remarquables concernent des corrélations entre catégorie d'objet et classe de tombe. Les matériaux sont d'autant plus diversifiés que la tombe est riche, et il s'agit alors à la fois de matériaux exogènes et de matériaux locaux ou régionaux. Les tombes très riches “drainent” en quelque sorte toutes les sources de matériaux possibles : depuis celles de la région de Varna jusqu'à celles du sud de l'Egée. On propose donc l'hypothèse que le pouvoir est établi sur le contrôle de la circulation des biens et non pas sur leur production, contrôle de la circulation que la situation géographique de Varna ne contredit pas. La hiérarchie sociale exprimée par la nécropole de Varna semble concerner également les enfants. Il semblerait donc qu'il faille envisager dès l'Enéolithique, du moins à Varna, une certaine hérédité du pouvoir, ou du moins la possibilité pour un membre de la famille de voir rejaillir sur lui le statut élevé d'un parent. 2.2 - Comparaisons avec les autres ensembles funéraires de Bulgarie La hiérarchie sociale n'apparaît pas avec Varna I, mais est déjà présente dans les tombes de Varna II datées de l'Enéolithique ancien. Les mêmes caractéristiques y sont déjà observables, à l'exception des tombes symboliques. L'une des différences notables dans le mobilier funéraire est la bonne représentation des parures en cuivre à Varna II et la sous-représentation des outils en cuivre, phénomène inverse à la période récente. Une autre différence est la moindre présence de l'or dans les mobiliers riches et sa moindre diversité, puisqu'il n'est attesté que sous forme de perle à l'Enéolithique ancien. Les nécropoles et ensembles funéraires de l'Enéolithique récent, contemporains de Varna I, montrent tous une différenciation sociale dans le mobilier funéraire (Tabl. 267), avec les mêmes caractéristiques dans les classes de richesse équivalentes. La longueur des lames en silex tend aussi à augmenter avec la richesse de la tombe. Dans ces ensembles aussi, la richesse se caractérise par la multiplication des exemplaires, des catégories et des matériaux. De même, les catégories spécifiques aux tombes riches et très riches sont exclues des tombes moins riches. Le mobilier funéraire de l'Enéolithique récent du Nord-Est de la Bulgarie est donc très homogène dans sa composition selon les différentes classes de tombes. L'hétérogénéité provient des inégalités perceptibles d'un site à l'autre, puisque Varna I apparaît véritablement comme la nécropole contenant les tombes les plus riches de toute cette région. Une différenciation entre les sites est ainsi notable, qui peut s'interpréter en terme de hiérarchie entre les sites. Résumé Partie V : Synthèse générale et conclusions L'organisation de la production des artefacts, ici en silex, est un élément indispensable à la caractérisation d'une société sous son aspect économique. L'unité domestique est entendue comme la plus petite unité spatiale de production perceptible, ici le village. La production domestique est définie comme la production d'une unité domestique à son propre usage. Par opposition, le terme de production non domestique comprend toute production extérieure à l'unité domestique. Au-delà du caractère domestique ou non de la production, il s'agit en outre de savoir si tout le monde produit ou seulement certains individus. Le terme de spécialiste est pris au sens large d'un individu possédant un savoir-faire et des connaissances dans un domaine précis qui le font considérer comme particulièrement compétent, mais sans impliquer ni organisation sociale ni structure économique stratifiées. Ainsi, la production spécialisée peut, entre autres, représenter une partie de la production domestique. Le spécialiste agit au bénéfice de tout le groupe, et sa spécialité ne lui confère ni un statut permanent ni une accumulation de richesses. Il est cependant manifeste que des degrés de “division complexe du travail” doivent être distingués pour rendre compte des différences économiques et sociales entre des groupes ayant des productions spécialisées. A un pôle serait la spécialisation, à l'autre extrême serait la professionnalisation qui, elle, ne peut plus être le fait d'une production domestique. Les divers degrés de division complexe du travail, conçus comme un continuum théorique, peuvent coexister dans une même société. La professionnalisation est définie comme l'existence d'activités pratiquées seulement par certains individus impliquant une structure économique, une organisation stratifiées de la production, dans une société où l'économie ne fonctionne pas à l'échelle du village mais à l'échelle régionale ou suprarégionale. A son degré extrême, les individus consacrent l'essentiel de leur temps à une activité, ce qui nécessite qu'ils reçoivent en échange les moyens de subsistance dont ils manquent. La connotation moderne de ce terme, et en particulier monétaire, suscite des réserves, mais il est nécessaire de distinguer l'organisation de la production de la valeur des échanges (le contrat). Et l'existence de monnaie n'est pas directement assujettie à celle de professionnels. Enfin, le terme plus usuel d'artisanat n'est pas d'un usage moins délicat que celui de professionnalisation, sinon plus ambigu. Dans un village donné, et quel que soit l'accès à la matière première, la production peut prendre deux formes principales (domestique ou non domestique), et être d'autre part non spécialisée, ou à un degré quelconque de division complexe du travail (de la spécialisation à la professionnalisation). Les supports, une fois produits, sont susceptibles d'être échangés, utilisés bruts de débitage ou façonnés en outils (Fig. 270). L'étude technologique du débitage de l'Enéolithique en Bulgarie a permis tout d'abord de distinguer une production domestique et une production non domestique. La production domestique, reconnue dans toutes les régions, est très majoritaire (90% du matériel d'un site). Elle opère en premier lieu sur les silex locaux et dans une moindre mesure sur les silex régionaux. Cette production domestique diffère selon les régions, du point de vue de la technique de débitage et de la morphométrie des produits laminaires. A l'intérieur de chacune des cinq régions, il s'agit d'un débitage commun à tous les sites, qui représente un savoir technique et une conception du débitage partagés par tous les habitats. Dans l'état actuel des recherches, aucun élément ne permet de mettre en évidence des productions spécialisées dans les productions domestiques rencontrées. L'ancrage de la production domestique régionale dans l'Enéolithique ancien, sans modification fondamentale à l'Enéolithique récent, permet de la considérer comme traditionnelle. Les supports de la production domestique se retrouvent fréquemment dans le mobilier funéraire des tombes (Enéolithique récent, Nord-Est) mais n'y représentent plus que 30 à 40 % du matériel lithique taillé. Un clivage grossièrement est-ouest se manifeste, entre Nord-Est et Thrace d'un côté et l'ouest de la Bulgarie. Le Nord-Est et la Thrace constituent un ensemble nettement homogène dès l'Enéolithique ancien. L'ouest de la Bulgarie, moins homogène, semble partager partiellement une tradition, mais avec des particularités régionales. D'une manière générale, la préparation du plan de frappe par facettage diminue progressivement du sud au nord et d'ouest en est. On observe, à l'intérieur même de la moitié occidentale, une diminution progressive de l'importance du facettage du plan de frappe, depuis le sud en Macédoine grecque orientale, jusqu'au nord, dans le Nord-Ouest, tandis qu'il reste très marginal dans l'ensemble de la moitié orientale. La grande homogénéité de la moitié est de la Bulgarie, permettant de regrouper Nord-Est et Thrace en un seul grand ensemble s'avère correspondre au grand découpage culturel établi sur la céramique, le complexe KGK, et à la période ancienne, le complexe Boian-Marica.A côté des productions domestiques, une grande partie des sites étudiés livrent les produits d'une production non domestique, réalisée dans le silex brun-jaune de la plateforme pré-balkanique (Nord-Est). Il s'agit d'un débitage de grandes lames par pression au levier. Leur longueur, au moins 20 cm, peut atteindre, pour les exemplaires les plus longs, 34 cm en habitat et 44 cm en nécropole. Des exemplaires plus “courts” (entre 12 et 20 cm) sont le fruit d'un débitage par pression à la béquille. Aucune modification n'est perceptible entre l'Enéolithique ancien et l'Enéolithique récent, ce qui permet de considérer que cette production non domestique est traditionnelle. Le débitage par pression au levier entraîne un certain nombre de contraintes : la quasi-impossibilité d'un débitage itinérant, la disponibilité de sources de très bonne matière première, l'accès à ces sources et la maîtrise de cette technique. A l'exception d'un tell découvert depuis ce travail (Kamenovo) et d'un site d'habitat uniquement prospecté et donc sujet à caution (Top?ii), aucun habitat, de quelle que région qu'il s'agisse, n'a livré de témoins des premières étapes de la chaîne opératoire du débitage par pression. Les seuls nucleus débités par pression rencontrés ne peuvent être considérés comme des déchets de taille puisqu'ils sont tous retaillés en hache. Les lames entières ou fragmentaires trouvées dans le matériel des sites sont apportées sous forme de produits semi-finis, et les haches taillées sous forme de produits finis. Les cinq régions étudiées présentent des parallèles plus ou moins importants (Tabl. 272). Il est possible de regrouper le Nord-Est et la Thrace : les proportions de grandes lames y sont les plus fortes et restent stables durant les deux périodes ; ces pièces sont en outre attestées dans tous les habitats. Les trois autres régions se distinguent tant les unes des autres que de la moitié orientale bulgare. D'une manière générale, elles se caractérisent par le fait que les pièces de la production non domestique ne sont pas attestées dans tous les habitats. La production non domestique des grandes lames témoigne d'une division complexe du travail et peut être qualifiée de production spécialisée : uniquement réalisée dans le Nord-Est, il s'agit d'une production de haute technicité, probablement non itinérante, assurée par certains villages seulement dans la région, et probablement par certains individus seulement à l'intérieur de certains villages. Il n'y a pas d'élément qui permette aujourd'hui d'en conclure que les sources qui sont exploitées pour le débitage des grandes lames ne le sont pas aussi pour celui de la production domestique locale. Il est donc pour l'instant impossible d'affirmer que l'accès à cette matière première est indirect. Les lames débitées par pression (levier et béquille) sont apportées en quantités plus importantes dans le contexte funéraire de l'Enéolithique récent, et elles le sont sous forme particulièrement longues (Tabl. 273). Bien que cette production spécialisée soit attestée dans toutes les régions, on exclut le terme d'importation, qui implique l'import d'un bien de provenance extérieure à une société donnée. En ce qui concerne l'utilisation des productions, quelle que soit la région, les outils sont surtout sur support laminaire. L'éventail des outils représente 16 classes d'outils, rarement toutes attestées dans un même habitat. L'outil prédominant varie d'un site à l'autre à l'Enéolithique ancien, tandis qu'à l'Enéolithique récent le grattoir est systématiquement prédominant. Quel que soit l'outil prédominant, les proportions de chaque classe d'outil varient d'un site à l'autre aux deux périodes, dans des sites le plus souvent intégralement fouillés et comparables. Cette variation dans les proportions d'outils pourraient refléter l'existence d'activités préférentielles selon les villages. A partir de l'Enéolithique récent uniquement, des haches taillées apparaissent, façonnées soit sur nucleus débités par pression, soit sur bloc. Les haches taillées sur nucleus, produits du débitage spécialisé non domestique, sont apportées dans les villages sous forme de produits finis. Elles sont affûtées dans les villages. Hormis ces haches et la prédominance systématique des grattoirs à l'Enéolithique récent, l'homogénéité entre Enéolithique ancien et récent atteste d'une importante tradition dans l'outillage. Aucune utilisation spécifique des grandes lames n'est observable. Par conséquent, l'outillage domestique d'un village intègre uniformément la production domestique et la production non domestique spécialisée. Déjà imposé par l'étude de la production, le regroupement du Nord-Est et de la Thrace se confirme dans l'étude de l'outillage. Il est clair que ces deux régions forment un ensemble cohérent et homogène, la Bulgarie orientale, marquée par la même tradition technique et culturelle. Le Sud-Ouest et la Macédoine grecque orientale peuvent également être regroupés en un même ensemble sud-occidental, dont les rares dissimilarités tiennent plus à des variations dans les activités préférentielles qu'à de véritables différences économiques, techniques ou culturelles. Comme dans la production domestique, le Nord-Ouest se distingue dans l'outillage. Un parallèle est toutefois observable avec l'ensemble sudoccidental. Pour ce qui est de la circulation des productions, aucun élément ne permet de penser que les produits du débitage domestique circulent d'une région à une autre. Les seuls objets lithiques qu'on voit circuler sont les produits du débitage non domestique spécialisé (grandes lames débitées par pression et haches taillées sur nucleus débité par pression). Le terme d'échange est entendu au sens large et “total”, tel qu'il a été défini par M. Mauss et repris par C. Lévi-Strauss et M. Sahlins. L'échange implique une relation entre des individus, des groupes ou des sociétés. Dans la relation d'échange, ce qui est échangé l'est en fonction d'une réciprocité (donner-recevoir-rendre), et représente corrélativement une valeur. Une part considérable de la valeur de l'échange concerne, non pas tant les objets que les partenaires de la transaction. Les échanges sont alors une fin en soi, et non pas seulement des moyens en vue d'une fin. Les réseaux d'échange constatés entre les cinq régions étudiées témoignent de liens plus ou moins forts. La disponibilité en matières premières, la production domestique et l'outillage de chacune des régions étudiées n'indiquent pas de manques ou de besoins économiques que comblerait l'échange des grandes lames entre les villages. Interprétation sociale de l'industrie lithique :Quelle valeur ont donc ces lames, que l'on prend le soin de débiter les plus longues possibles, que l'on échange partout, pour s'empresser de les morceler à la dimension (restreinte) de l'outillage local ? Dans toutes les régions, la quantité de lames échangées est relativement faible et la qualité des lames n'est jamais la plus grande (pas les plus longues). La présence proprement dite de ces lames suffit-elle à leur conférer une valeur ? Une totale cohésion existe entre la Zone à céramique graphitée et la répartition géographique des grandes lames débitées par pression. Dans les territoires de la Zone à céramique graphitée qui n'ont pas été pris en compte dans l'étude (Olténie et Munténie en Roumanie) les publications de fouilles montrent la présence des grandes lames débitées par pression. Tandis qu'à l'intérieur de la Zone à céramique graphitée les grandes lames sont échangées, à l'extérieur, circule une autre matière première lithique, l'obsidienne. L'obsidienne d'Europe centrale d'une part et l'obsidienne méditerranéenne d'autre part circulent sur de très vastes territoires, encerclant en quelque sorte la Zone à céramique graphitée sans jamais véritablement y pénétrer. Le seul exemplaire avéré est la lame d'obsidienne (probablement de Milos) d'une tombe très riche de Varna I. Et même dans des habitats situés sur les côtes égéennes, l'obsidienne est absente des niveaux apparentés à la Zone à céramique graphitée. Une valeur culturelle, au sens de l'identité culturelle, pointe donc ici dans la nécessité des échanges de grandes lames. La forme sous laquelle les grandes lames sont échangées (entières ou fragmentaires) est susceptible de varier régionalement. L'une des valeurs des grandes lames porte sur leur longueur, comme l'a montré l'étude des ensembles funéraires. En outre, les grandes lames y sont proportionnellement beaucoup plus abondantes que dans les habitats. Elles sont en général entières et parfois particulièrement longues. Le mobilier funéraire des tombes riches et très riches se caractérise par une plus grande quantité d'objets, une plus grande diversité de sortes d'objets, une plus grande diversité de matériaux. La composition des mobiliers funéraires des tombes riches et surtout très riches est principalement marquée par la surabondance d'objets symboliques, d'ornements et de parures. En outre, la hiérarchie sociale observée dans les nécropoles indique que le pouvoir peut être associé à des enfants, même très jeunes, ce qui laisse penser que le pouvoir (ou certaines formes de pouvoir) est héréditaire. Un lien direct existe bien entre la richesse d'un défunt et la longueur de la lame de production spécialisée qui sera déposée dans sa tombe. Or on sait, grâce aux habitats, que la longueur est toute symbolique, puisque, dans tous les cas, les lames sont segmentées à un moment ou un autre et qu'aucune utilisation d'une lame entière n'est connue. C'est bien une technique spécifique (et spécialisée) qui permet l'obtention de lames d'une telle longueur, technique que tous les villages ne pratiquent pas. Et c'est bien cette technique qui prend valeur, puisque la grande lame n'a pas d'utilisation utilitaire indispensable. La technique du débitage par pression peut être réservée à un centre restreint de production parce qu'il est le seul a en posséder le savoir-faire, mais peut-être aussi parce que les villages receveurs se refusent à pratiquer cette technique, refus que peut motiver le besoin de relations d'échange. Les grandes lames ont aussi une valeur de prestige, elles sont symboliques d'une richesse, d'un pouvoir. Ce pouvoir appartient à ceux qui peuvent accumuler des richesses, à ceux qui peuvent réunir, comme on le voit dans leur tombe, une grande quantité d'objets d'origines diverses. Tous les éléments du pouvoir paraissent reposer sur le contrôle de la circulation des biens, plus que sur un contrôle de la production de ces biens. Le pouvoir que symbolise la grande lame, qui est aussi le pouvoir du contrôle de la circulation des biens, est en tout premier lieu celui des personnages importants de Varna. Mais, chaque village qui possède quelquesunes de ces grandes lames (ou seulement les individus qui les possèdent ?) profite aussi d'une parcelle de cette valeur symbolique de prestige et de pouvoir. Il s'agit donc