Le berger des Landes : l'écologie animiste des hybrides

Résumé Fr

Germaine Richier, Bergers des landes, 1951 Qu'est-ce qu'habiter la terre en chauve-souris ? Comment percevrais-je mon corps et mes membres, si j'étais une mante ? La montagne at -elle un point de vue et comment regarde-t-elle les humains ? Les hybrides de Richier ne sont pas des chimères destinées à surprendre par leur hétérogénéité monstrueuse, ce sont des dispositifs mentaux permettant de combiner deux points de vue : le point de vue interne du sujet non humain sur lui-même qui se voit comme une personne, et le regard extérieur de l'humain qui s'arrête à la différence d'une anatomie étrangère. C'est exactement la formule animiste qui postule, derrière la pluralité de corps spécifiques à chaque espèce vivante, une unité de la vie psychique et sociale partagée par tous les êtres. Richier ne se pose pas en créatrice d'hybrides isolés, elle est une éveilleuse d'attention qui suggère des réseaux de subjectivités potentielles. Elle profile un paysage animiste qu'il nous appartient d'arpenter, pour y pister les présences qui s'y cachent. Elle est explicite à ce sujet : « c'est le paysage qu'elles habitent, mes sculptures. Vous savez, je les ai vues dans les feuilles, dans la boue 1. » Chaque oeuvre renvoie ainsi à un assemblage paysager d'autres oeuvres et d'expériences de rencontres et d'observations. Les souvenirs de la sculptrice décrivent le peuple de sauterelles et autre bestiolescompagnes qui habitaient son enfance. Les subjectivités animistes ne sont pas des particules élémentaires, elles vivent d'interactions et de mémoires multi-espèces qu'elles ont tissées ensemble. En suivant cette lecture inspirée du perspectivisme amazonien, le berger landais franchit une étape supérieure dans l'investigation métaphysique. Si les araignées et les mantes se voient comme des personnes, comment voient-elles les humains ? La réponse de Richier est dans le Berger landais (mais aussi dans le Diabolo) et elle est tout amazonienne.