Néologie formelle, néologie sémantique : hyperbolisation et effets de diabolisation dans les désignations de militants environnementalistes et d’opposants politiques

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16 novembre 2023

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Michelle Lecolle, « Néologie formelle, néologie sémantique : hyperbolisation et effets de diabolisation dans les désignations de militants environnementalistes et d’opposants politiques », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.o2i8bf


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Notre proposition porte sur la qualification et la nomination de militants environnementalistes – entendus au sens large – en France. En passant des formulations « discours et militantisme » et « discours militant » envisagées par l’appel à communication à celle de « discours sur les militants », il s’agit de dresser un relevé de la manière dont, en 2022-2023, dans un contexte tendu par la situation climatique et devenu conflictuel, les militants de la cause écologique (et, au-delà, leurs alliés politiques) sont représentés dans les discours publics, par les politiques au pouvoir, mais aussi parfois par les journalistes et les commentateurs (éditorialistes, utilisateurs de réseaux sociaux et de forums de la presse en ligne). À travers ce relevé, dans une approche attentive aux effets sur le réel des mots et de leur emploi en discours, on s’intéresse centralement à l’hétérodésignation opérant contre les militants, dont certains observateurs remarquent la charge stigmatisante – mais dont les termes peuvent également faire l’objet de réappropriations, et dans ce cas relever de l’autodésignation. On s’attachera donc à des mots (adjectifs et substantifs) et groupes de mots forgés (néologie formelle) ou détournés de leur signification « standard » (néologie sémantique), dont voici quelques exemples : écoterroriste (et son pendant écoterrorisme), zadiste, amish, ayatollah vert, khmer vert, pastèque, ultra-gauche. Ces mots et groupes de mots relèvent de procédés différents sur le plan formel : préfixe en ultra- accolé à un nom collectif humain (gauche) ; suffixation en -iste (zadiste – créateur ou habitant d’une ZAD (« Zone à défendre »)) ; préfixation avec éco- ; nom + épithète vert ; nom simple (amish, pastèque). Mais la ressemblance, et même l’effet de série est ailleurs : outre la présence de procédés similaires (par exemple avec l’adjectif vert), elle réside, d’une part, (a) dans le fait (syntactico-sémantique) que tous ces mots et expressions sont susceptibles (de différentes manières) de désigner, qualifier, catégoriser des groupes humains, d’autre part (b) dans leur caractère exagéré, hyperbolique – même si pastèque (« vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur » en référence aux couleurs politiques) est plutôt, rapporté à des humains, une métaphore plaisante –, et enfin (c) dans le fait qu’ils désignent des groupes humains socialement et culturellement éloignés des groupes usuellement désignés (amish, khmer, ayatollah), ou qu’ils opèrent une qualification-catégorisation largement sujette à caution (écoterroriste, zadiste, ultragauche) ou qui, à tout le moins, doit être justifiée. Ce qui rassemble ces mots, donc, est la discréditation des individus ou des groupes militants par le ridicule (amish) ou, plus souvent, par le caractère extrémiste et inquiétant de ce à quoi ces mots se rapportent usuellement (basé sur l’histoire ou l’actualité – ou du moins ce que le public en connaît : terroriste, zadiste, ayatollah, khmer), et donc leur effet d’exagération et de diabolisation – effet qui agit y compris sur des composés avec vert ou éco-, dont pourtant les emplois sont généralement connotés positivement (écoconstruction, croissance verte, finance verte1). Certains noms ne sont pas totalement nouveaux, et par conséquent leur caractérisation comme néologisme peut se discuter : il en est ainsi de écoterrorisme/écoterroriste – d’après wikipédia, le néologisme apparait d’abord au Royaume-Uni dans les années 1970, puis aux États-Unis dans les années 1980. La pratique correspondante est pointée en 2010, dans un article de criminologie, comme une tendance grandissante sur ces territoires (Gagnon, 2010). Si l’activisme qualifié d’« écoterrorisme » ne renvoie que rarement à des activités dangereuses, le mot lui-même est bien là, au sein duquel terrorisme fait peur. De même, ultragauche n’est pas nouveau, et a en principe une application délimitée en science politique. Mais ce qui est commun ici à ces noms, c’est leur emploi dans une signification et une application référentielle éloignées de la leur – opérant un glissement sémantico-référentiel, donc. Une signification dans laquelle un élément du nom dérivé (terrorisme d’un côté, ultra- de l’autre), non seulement fonctionne (dans la communication politique) de manière hyperbolique et stigmatisante, mais aussi opère une catégorisation dangereuse dans ses conséquences en termes de rapports au droit, à la vie publique et à la politique – dans une période où « les défenseurs de la planète sont devenus des cibles », selon l’avocat américain Steven Donziger2. En définitive, au-delà des différences en termes de création néologique et de nouveauté elle-même, c’est bien l’existence d’une série de procédés de désignation disqualifiants, ancrée dans un contexte général de tension des relations sociales et politiques, qui sera considérée ici. Au travers de relevés dans des textes (oraux et principalement écrits) publics contemporains divers portant sur la vie politique et les politiques appliquées à l’écologie (articles journalistiques, déclarations politiques, forums et messages sur twitter), on se propose de caractériser, d’un point de vue linguistique, ce qui apparaît comme une évolution vers les extrêmes dans les représentations et dans la vie politique et sociale. Références Bastuji Jacqueline, 1974, « Aspects de la néologie sémantique », Langages 36, p. 6-19. Gagnon B. 2010, « L’écoterrorisme : vers une cinquième vague terroriste nord-américaine ? ». Sécurité et stratégie, 3, 15-25. https://doi.org/10.3917/sestr.003.0015 Gérard Christophe et Kabatek Johannes, 2012, « Introduction : la néologie sémantique en questions », Cahiers de Lexicologie 100, p. 11-36. Guibet Lafaye Caroline, Rapin Ami-Jacques, 2017, « La « radicalisation ». Individualisation et dépolitisation d’une notion », Politiques de communication, 2017/1 (N° 8), p. 127-154. DOI : 10.3917/pdc.008.0127. URL : https://www.cairn.info/revue-politiques-de-communication-2017-1-page-127.htm Guiraud Pierre, [1967] 1986, Structures étymologiques du lexique français. Paris, Payot.Krieg-Planque Alice, 2012, Analyser les discours institutionnels, Paris, Colin. Namer Fiammetta et Dal Gorgette, 2022, « Éco- lave plus vert, et il lave toute la famille », Neologica 16. Nyckees Vincent, 2000, « Changement de sens et déterminisme socio-culturel ». In François J. (éd.) Théories contemporaines du changement sémantique. Leuven, Peeters (Société de linguistique de Paris), p. 31-58. Sablayrolles Jean-François (2002). « Fondements théoriques des difficultés pratiques du traitement des néologismes ». Revue Française de linguistique appliquée, VII-1, p. 97-111.Sablayrolles Jean-François, 2000, La Néologie en français contemporain : examen du concept et analyse de productions néologiques récentes. Paris, Champion.

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