Décerveler le lecteur : anarchisme et communication littéraire chez Alfred Jarry

Résumé Fr

La littérature symboliste entretient des rapports particuliers avec l'anarchisme : de Félix Fénéon, soupçonné d'avoir participé à l'attentat du restaurant Foyot en 1894 à Mallarmé, pour qui le poème se fait bombe , les littérateurs, par rejet de la société bourgeoise, se proclament anarchistes de lettres, mettant en avant une singularité triomphante. On ne compte plus les récits et romans qui s'achèvent sur un attentat, chez Remy de Gourmont, Marcel Schwob, Camille Mauclair, Catulle Mendès ... Alfred Jarry, qui entre en littérature au moment des attentats anarchistes du début des années 1890, intègre de manière singulière cette violence politique à ses écrits. Ses réflexions sur l'anarchisme et l'individualisme le conduisent à mimer la violence anarchiste non dans les thèmes de ses œuvres, mais dans la manière même dont il les livre au public. S'inspirant de Lautréamont et de Nietzsche, il place le lecteur en état d'infériorité, et propose une communication littéraire fondée sur la violence, où l'auteur, anarchiste spirituel, impose par la force ses conceptions à un public soumis. La " Machine à Décerveler " symbolise cette œuvre attentatoire, tenant à la fois de la bombe, de la guillotine et du pal et faisant usage de l'ironie, de la mystification, de la provocation et de la déstabilisation pour mener ses lecteurs à la baguette, dans ce qu'il nomme un jeu de " colin-maillard cérébral ". Chez lui, publications et représentations deviennent ainsi des gestes politiques : dans l'espace de la communauté littéraire symboliste, il cherche à se faire une place à coup de textes-dynamites.