2005
Cairn
Gerhard Neumann et al., « Les tableaux-pièges de Daniel Spoerri entre art et ethnographie », Hermès, La Revue, ID : 10670/1.owajrg
Les rituels sont les synapses dans le tissu culturel d’où sont issus les éléments qui gouvernent la vie en commun et la communication des êtres humains. Il en est ainsi depuis le commencement de toute société humaine. Mais ce n’est qu’au xxe siècle que se manifeste un véritable intérêt pour le fonctionnement et l’importance culturelle des rituels. Il s’agit d’un tournant inspiré par les théories des ethnologues, et placé sous le signe du cultural turn et du performative turn du xxe siècle. On se détourne alors des pratiques jusque-là en vigueur de l’abstraction et de la représentation. Or, depuis le « Banquet » de Platon et l’instauration de la « Cène » chrétienne, l’un des rituels les plus importants (relativement au performatif et au corps) est l’acte socialement codé de l’ingestion de nourriture, le repas. Avec l’ Eat art dont il est le concepteur, Daniel Spoerri a repris ce thème et contribué, par le truchement du rituel piège, à poser un regard neuf sur l’acte de manger au xxe siècle. Tel que Spoerri le met en scène, le « rituel piège » attire l’attention sur le rôle de fondation de sens que joue le rituel dans la culture. Mais il fait apparaître également que les rituels se transforment en pièges idéologiques où tombe quiconque les prend « à la lettre » ou comme des évidences. Spoerri est un des artistes du xxe et de ce début du xxie siècle qui, par le biais de leur art, rendent compte de la double fonction du rituel dans la culture : d’une part, le rituel maintient en vie le processus culturel ; d’autre part, il est producteur d’idéologies qui font passer des mythes politiques pour naturels, prenant au piège consommateur de nourriture et consommateur d’art tout à la fois.