Le topos du jardin comme « tapis de Turquie » au temps des humanistes, une figure d’art et de mémoire

Fiche du document

Auteur
Date

1 décembre 2020

Type de document
Périmètre
Langue
Identifiants
Collection

Archives ouvertes




Citer ce document

Laurent Paya, « Le topos du jardin comme « tapis de Turquie » au temps des humanistes, une figure d’art et de mémoire », HAL-SHS : architecture, ID : 10670/1.pabgyz


Métriques


Partage / Export

Résumé Fr

L’architecture des premiers jardins modernes s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie culturelle en interaction avec l’environnement matériel, artistique, cognitif et social de cette époque. Une « concordance des arts » s’exprime alors explicitement entre l’architecture des jardins ornés departerres et la confection des tapis de table d’apparat. Durant la Renaissance, la production d’images et d’espaces s’appuie sur des modèles situés au-delà des réalités sensibles spécifiques à chaque discipline artistique. Il en résulte d’étonnantes convergences entre les arts visuels. Ainsi, dansl’Hypnerotomachia Poliphili, publié à Venise en 1499, ouvrage qui annonce un nouvel art des jardins, Francesco Colonna (1433?-1527) décrit les jardins féeriques de l’île de Cythère, considérés par l’auteur comme un tapis compartimenté en divers ornements colorés, qui servait alors à couvrir les tables. Cette étonnante métaphore est reprise, et légèrement remaniée, dans le Songe de Poliphile (1546), traduction française du texte de Colonna, où le jardin est désormais la réplique agrandie d’un tapis de Turquie enrichi d’ornements « tant Moresques comme Arabesques ». Or, cette métaphore n’est pas qu’un effet rhétorique utilisé pour charmer le lecteur. La physionomie ex analogia des jardins et des tapis, s’explique par la double influence des arts médiévaux et gréco-latins. Elle renvoie notamment, à l’usage antique du tapis comme « exemple » ou paradeigma (παράδειγμα) dans l’art de la mosaïque grecque. Il s’agit aussi d’une imago agente (Rhetorica ad Herennium), frappante, exagérée, et pourvoyeuse d’hubris (démesure) qui sert à imprégner les mémoires. Cette fonction mnémonique (Ars memoriae) est si bien remplie que, non seulement des jardins réels similaires en syntaxe et en ordonnancement aux tapis s’observent dans l'iconographie, et de plus, à la suite de Colonna, une dizaine d’auteurs de cette époque rapprochent dans leurs écrits l’architecture des jardins de la composition des tapis. Vers 1570 et 1610, cette dialectique formelle entre arts du jardin et du tapis s’inverse. En effet, les imposants tapis de table au graphisme chatoyant, qui sont les textiles les plus resplendissants des décors intérieurs aristocratiques vers lesquels convergent les regards, sont alors comparables à des jardins miniaturisés et stylisés. Le tapis de table revêt désormais explicitement la signature de l’identité architecturale et horticole des jardins contemporains. Ces tissus précieux génèrent un modèle théorique des plus séduisants, en concrétisant l’idée d’une scénographie décorative voulue comme une couverture de « parterres de broderies », au sens vestimentaire du terme, aussi bien aux abords de la demeure que sur les tables des salles d'apparat. L’idée d’une relation réflexive liant ces deux arts se conforte en procédant à la comparaison des répertoires ornementaux. La représentation des fleurs « peintes à l’aiguille » est un objet d'étude particulièrement signifiant de cette recherche d’harmonie esthétique qui traverse les médiums artistiques. Souvent, la métaphore formelle est si poussée qu’il est possible d’identifier la flore d’un tapis, puis de la comparer à la gamme des végétaux des jardins. Car au début des temps modernes les contemporains ignorent les mécanismes de la physiologie végétale, d’autres « conséquences épistémiques » s’ensuivent de cette pratique de l’imitation naturaliste. Les objets d’art artificiellement enrichis des décors végétalisés paraissent animés par le même élan vital qu’un authentique Jardin de plaisir, garni de sa flore printanière. Aussi l’ornementation végétale est-elle une capture mimétique symbolique des forces végétales, qui confère forme et vigueur au textile. Ce dialogue donne lieu au déploiement de décors d’une impressionnante unité, à considérer comme de vastes systèmes pour intégrer des œuvres où cohabitent les techniques artistiques et les échelles spatiales. Ce modèle codifié en compartimentation/ornementation du plan, développé durant la Renaissance, partagé par l’aménagement des jardins de « plate-forme » et la composition des couvertures brodées d’ameublement, génère un continuum décoratif particulièrement harmonieux (concinnitas) et merveilleux (meraviglia).

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Sur les mêmes disciplines

Exporter en