15 mars 2013
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Fregosi Renée, « La rhétorique démocratique populiste aujourd’hui : entre spontanéisme et néo-bolchevisme », Rhétorique démocratique en temps de crise, ID : 10670/1.pslisc
Depuis toujours, en France, sa première « patrie » comme en Amérique latine à partir de 1945, le populisme a partie liée avec la démocratie dans une relation ambivalente ou ambigüe. Le populisme peut ainsi être entendu comme cette disposition de l’action politique à faire clivage, à simplifier et emphatiser les antagonismes. Car la démocratie porte toujours en elle un germe de crise. Le vote en faveur de formations populistes est alors souvent vécu comme une réappropriation de la décision politique par ceux qui ne sentent plus représentés par les grands partis. La démocratie devient alors dans le discours populiste, vecteur d’affect. Parole que l’on pourrait qualifier de « contre-performative », l’appel populiste à la démocratie défait le consensus démocratique du gouvernement représentatif en provocant polarisation et tension, et tend à l’action violente légitimée. Or, si par le passé, la parole vivante du leader était déterminante pour donner corps à la mobilisation, aujourd’hui, la parole mobilisatrice est à la fois plus diffuse et plus dispersée : la parole populiste se constitue par elle-même, s’auto-produit comme référentiel hégémonique. La dynamique populiste façonne des figures selon les nécessités du moment et chacun peut alors faire son marché populiste, se choisissant tel ou tel leader fétiche sur la scène mondiale et en changeant selon les humeurs et les situations. Les « dérapages », les « débordements » populistes s’inscrivent tous dans le cadre de revendications justicialistes (axé sur un idéal abstrait, immédiat et total de justice, et fondé sur un ressentiment profond et diffus). Un autre « populithème » structurant du populisme démocratomorphe est en effet la notion d’« impunité ». Utilisée au départ à propos de la question de la justice pour les crimes des dictatures, à l’extension de la notion d’impunité aux « crimes économiques » et plus généralement, son usage se répand pour souligner les privilèges des puissants. Lorsqu’il parle d’impérialisme et de post-colonialisme, le populisme contemporain redresseur de torts use moins d’arguments économiques que de cette notion vague de domination, porteuse d’un potentiel de dévoilement et de révolte. La mobilisation populiste se présente comme une auto-défense : la violence du populisme serait une réponse à une violence plus grande à l’encontre du peuple et des peuples opprimés. Capté et recyclé par l’antisémitisme politique contemporain, l’antisionisme constitue alors une pièce centrale du nouveau dispositif populiste transnational. A tous ces égards, la rhétorique démocratique d’Hugo Chavez est emblématique en tant qu’il est à la fois un archétype du leader populiste d’aujourd’hui, un exportateur de modèle pour une gauche radicale (tout particulièrement en Europe), et un leader à vocation transnationale.