5 juin 2018
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Pierre Brasseur et al., « Les plateformes de webcaming : vers la constitution d’un précariat du sexe ? », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.q4gqgg
Notre communication se propose d’analyser l’activité de webcaming. Le webcaming (ou sexcaming) s’apparente à une forme modernisée et en ligne de l’ancien peepshow. Face à une webcam, les cam-girls[1] produisent en direct un spectacle érotique ou pornographique contre une rétribution payée par tout ou partie de ceux qui les regardent. La rencontre entre les cam-girls et les internautes-spectateurs (appelés viewers quand ils se contentent de regarder, et tipers quand ils payent) se fait par le biais de plateformes dédiées qui se rémunèrent en ponctionnant une partie des sommes versées par les spectateurs. Souvent envisagée sous l’angle de la panique morale (les détracteurs voyant dans le webcaming une nouvelle forme de prostitution et donc d’exploitation sexuelle des corps), cette pratique se développe par l’intermédiaire de plateformes de plus en plus grandes qui, telles Cam4, Chaturbate et LiveJasmin, tentent de capter les flux et d’imposer un contrôle oligopolistique du marché.A travers cette communication, nous proposons d’analyser le modèle économique des plateformes capitalistes de webcaming, qui ont pour point commun d’être basées à l’étranger (souvent dans des paradis fiscaux), de générer des profits importants et de ne salarier aucune camgirl. S’il est indéniable que les plateformes s’approprient une partie très importante de la valeur générée par le travail des camgirls indépendantes (jusqu’à 60 % des sommes versées par les clients), il serait cependant erroné d’y voir uniquement le fruit d’une exploitation de la misère humaine. L’étude des profils et parcours professionnels et personnels indiquent en effet une pluralité de motivations amenant à se lancer dans l’activité de webcaming, celles-ci ne pouvant être réduite à la seule dimension financière. En outre, tout en étant consciente des marges importantes réalisées par les plateformes, des faibles rémunérations horaires qu’elles réalisent et du caractère éprouvant – physiquement et émotionnellement – de l’activité, les camgirls restent la plupart du temps persuadées de pouvoir tirer leur épingle du jeu et de tirer, à terme, un profit de leur investissement total.L’activité de webcaming et le précariat qui l’accompagne seront analysés sous deux angles largement imbriqués. D’une part, il s’agira d’interroger le rapport à l’activité, ainsi que les conditions de travail d’existence et d’emploi de ces travailleuses du sexe qui, de facto, sont exploitées et s’auto-exploitent. D’autre part, il s’agira d’analyser les mécanismes et dispositifs matériels élaborés par les gestionnaires de plateformes pour capter ou fidéliser les camgirls (avec lesquelles ils refusent de signer des contrats trop engageant) et pour favoriser leurs conduites entrepreneuriales.Pour comprendre qui sont les femmes qui pratiquent le webcaming, leurs trajectoires, leurs dispositions, leurs pratiques et leurs représentations, nous nous appuyons sur une série d’entretiens avec des camgirls francophones exerçant sur des plateformes françaises ou internationales (25 entretiens en cours). Nous interrogeons également des gestionnaires et employés de plateformes. En complément de ces entretiens, une ethnographie des sites de caming et des espaces en ligne contribuant à la promotion et à la structuration de l’activité est menée. Un intérêt particulier est porté aux contrats numériques entre camgirls et plateformes, ainsi qu’au travail de promotion et communication adressé aux camgirls ou femmes susceptibles de le devenir.