Répliques : les images latentes de la catastrophe

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17 mai 2021

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Anne Favier, « Répliques : les images latentes de la catastrophe », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.qdb42s


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Cette communication se propose de mettre en perspective trois ensembles d’œuvres graphiques contemporaines pour lesquels les artistes ont procédé selon diverses modalités, à des reprises graphiques, aussi précises que distanciées de documents photographiques témoignant de catastrophes humaines et écologiques. Ainsi pour la série Mélanophila 2003-2008, Dove Allouche a consacré cinq années à reproduire à la mine graphite, 140 des 149 photographies qu’il avait prises de toute urgence, au cœur de l’évènement1, sur le lieu d’un spectaculaire incendie d’une forêt d’eucalyptus dans le sud Portugal. Le temps d’exécution des dessins, aussi denses que des photographies sous-exposées ou des paysages carbonisés, est dilaté et contraste avec l’instantanéité et l’urgence des prises de vue. Le programme graphique correspond également au temps de reconstruction de la forêt détruite. L’artiste belge Léa Belooussovitch2 use de documents médiatiques d’évènements contemporains d’extrême violence (attentats, catastrophes naturelles etc). A l’insoutenable de ces représentations, elle répond par les moyens du dessin en travaillant le crayon de couleur inscrit dans le derme de supports en feutre. Les reprises quelque peu incarnées dans cette nouvelle matérialité mettent à distance leurs modèles qui ressemblent alors à d’étranges photographies floutées et se donnent à lire en halos indéterminés de couleurs. Les images sources dans leur reprises feutrées ne sont plus lisibles mais induisent des reconstitutions imaginaires par le truchement des titres très explicites : Barcelone, Espagne, 17 août 2017 ou Kaboul, Afghanistan, 27 janvier 2018… L’ensemble de dessins photogéniques Dix mille degrés sur la place de la paix3, 2018-2020, a été réalisé au graphite sur papier par l’artiste contemporain Éric Manigaud, à partir des photographies témoignant de la destruction d’Hiroshima et Nagasaki, censurées par l’armée américaine, puis déclassifiées à partir de 1952. Icones mémorielles, images militaires, documents de propagande, ces photographies sont des images survivantes alors que la catastrophe elle-même a brulé les films photographiques qui auraient dû enregistrer l’instant de la déflagration. Si l’évènement a été photographique – « La déflagration atomique a comme produit une immense photographie in vivo (Mickael Lucken) » –, les photographies transférées par les moyens du dessin à une tout autre échelle, sont matériellement pulvérisées. Les répliques graphiques qui à une certaine distance pourraient s’envisager comme de très grandes photographies, révèlent leurs surfaces hantées d’énigmatiques signaux de graphite et manifestent leur dimension vibratoire toute spectrale. A l’ombre de leur modèles photographiques, ces reprises graphiques selon des protocoles et processus de distanciation, mettent en crise la représentation évidente et l’instantanéité de l’évènement médiatique du catastrophique. Si le temps long de l’investissement graphique peut renvoyer à un 1 Pour la série Melanophila, l’artiste attendait l’advenue d’un incendie d’une forêt d’eucalyptus, en se connectant aux dépêches AFP. 2 L’artiste Léa Belooussovitch, lauréate du prix des partenaires 2020 du MAMC de Saint-Etienne, bénéficie actuellement d’une exposition personnelle qui sera ouverte au public dès que les conditions sanitaires le permettront. 3 L’ensemble a été présenté de manière inédite à la galerie Sator Komunuma de Romainville en automne dernier. Certaines pièces de cet ensemble acquises par le MAMC de Saint-Etienne seront présentées lors de l’actuelle exposition monographique consacrée aux dessins d’Éric Manigaud au MAMC de Saint- Etienne (l’exposition sera ouverte au public dès que les conditions sanitaires le permettront. Elle sera prolongée jusqu’en mai 2021) processus de réparation ou de reconstruction (Dove Allouche souligne d’ailleurs que le sujet lui-même de la série Mélanophila s’est régénéré plus vite que le temps consacré au programme de reprise graphique, car l’eucalyptus renait très rapidement de ses cendres), l’épreuve perceptuelle lors de l’expérience sensible de ces trois œuvres engage le regardeur dans des prises en charge, tout à la fois visuelles, imaginaires et politiques. Face au spectaculaire de l’image médiatique et à la transparence de l’immédiacie (Bolter et Grusin), l’analyse croisée de ces trois ensembles graphiques nous permettra d’appréhender l’après-coup (la réplique est aussi un écho temporel) de l’évènement catastrophique mis à distance par des opérations plastiques intermédiales. Soutenir du regard ces répliques graphiques photogéniques assourdies pour les faire émerger de leur fond, nous amène à faire parler leurs présences silencieuses et à questionner l’acte et les processus de représentation de la catastrophe selon une « logique de l’hypermédiacie ».

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