2010
Cairn
Elena Simonato-Kokochkina, « Le mythe de l'unification des alphabets en URSS dans les années 1920-1930 », Langage et société, ID : 10670/1.qmtxap
L’unification des alphabets est certainement l’épisode le plus édifiant et le plus passionnant de toute l’« édification linguistique » entreprise en URSS après la révolution de 1917. J’analyse d’abord en détail les principes linguistiques de l’unification des alphabets, élaborés par des linguistes soviétiques tels que N.F. Jakovlev et E.D. Polivanov. Je me concentre ensuite sur la réalisation pratique de l’alphabet unifié pour toutes les langues de l’URSS, et notamment sur ses aspects pratiques dont la confrontation entre les linguistes théoriciens et les praticiens locaux, membres de la Commission pour l’unification auprès du Comité du Nouvel Alphabet Turk (VCKNTA). Je me penche ensuite sur les raisons de l’échec qu’a subi ce projet original et renversant, c’est-à-dire à son échec politique en premier lieu (le changement de la politique soviétique envers les nationalités), mais aussi l’échec linguistique. L’échec se solde entre autres par la suppression du VCKNTA en 1938. Le projet de l’unification des alphabets sera ainsi être abordé dans le contexte de son époque : ses débuts se trouvent au tournant des années 1920, et sa phase critique dans les années 1930. Par son esprit, ses visées, ses mots d’ordre, il appartient à la culture des années 1920, il est contemporain de l’idéologie de l’internationalisme et du mouvement pour les langues artificielles. Il est évident qu’après 1933, cette visée internationaliste du projet ne peut manquer de susciter des réactions violentes de la part de ceux qui y voient une contradiction avec l’« épanouissement des cultures nationales » proclamé comme argument essentiel en faveur de l’alphabétisation.