9 septembre 2022
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Éric Dacheux, « Communication et solidarité démocratique: Repenser la stratégie des initiatives solidaires », HAL-SHS : sciences de l'information, de la communication et des bibliothèques, ID : 10.4000/communication.15850
Dans une Union européenne où la démocratie représentative, à bout de souffle, est menacée par l'autoritarisme, les initiatives solidaires (IS) sont des auto-organisations de la société civile qui contestent la mondialisation actuelle tout en agissant pour construire un monde alternatif. Pour mener à bien cette tâche démocratique précieuse, les plus grandes IS (ONG, mutuelles, etc.), sous l'influence d'une pensée gestionnaire incorporée par la professionnalisation de ses cadres, développent une approche persuasive de la communication qui est de plus en plus coûteuse et, surtout, inadaptée à leur identité. Sortir du marketing, outil persuasif inadapté aux fins solidaire En effet, comme toutes techniques, les outils du marketing ne sont pas neutres. Certes, ils ne sont ni positifs ni négatifs (une publicité peut vanter les mérites du tabac ou inciter à arrêter de fumer), mais ils ne sont pas neutres. Pour deux raisons. D'une part, comme le rappelle Jacques Ellul (1988), toute technique est ambivalente : elle est à la fois positive et négative, elle présente des qualités mais aussi des défauts. Avant d'utiliser une technique de communication, il faut donc penser, à la fois, ces avantages et inconvénients (faire une mailing list pour débattre en dehors des réunions, c'est exclure des débats ceux qui ont des difficultés avec l'informatique, soit 25 % des Français). Mais surtout, elle n'est pas neutre ; si un marteau peut servir à de nombreux autres usages qu'enfoncer un clou (briser une vitre, maintenir une feuille volante, etc.), il ne peut absolument pas servir à scier un chêne. Pire, si l'on s'obstine à scier un chêne avec un marteau, on risque fort de se luxer l'épaule ! C'est le cas des IS qui veulent changer le monde (sortir d'une société de marché) à l'aide d'une technique, le marketing, créée pour le maintenir (résorber la crise de surproduction). C'est également le cas lorsque les IS cherchent à informer les citoyens en multipliant les courriers individualisés, les lettres électroniques ou les courriels aux donateurs. Dans une société sursaturée d'informations, les informations des IS ne font plus sens. Pire, d'une part, elles contribuent à l'acratie (sentiment qu'il faudrait changer le monde, mais impuissance à le faire) et, d'autre part, augmentent la servitude numérique (Poitevin, 2020) en utilisant trop souvent les moyens de diffusion des GAFAM. On ne renforce pas l'autonomie des citoyens avec des algorithmes prévus pour créer plus de dépendances ! Enfin, dernière contradiction entre fins et moyens, les IS cherchent à établir une communication avec les citoyens, c'est-à-dire à construire une relation qui réclame du temps (pour comprendre ce que l'autre a compris de manière différente de nous) et de la distance (trouver l'autre en soi-même et le même en l'autre pour trouver l'équilibre entre humanité partagée et altérité respectée), avec des outils de connexion numérique qui, pourtant, sont faits pour abolir le temps et la distance. La communication politique n'est ni persuasion, ni information, ni connexion, mais une invitation à l'autonomie (appel à la libre interprétation du récepteur). Cette invitation est un moyen de lutter contre l'invisibilité partielle des IS. Elle permet, en effet, de proposer des pistes concrètes à expérimenter (au moyen de la recherche-action), pour, d'une part, faire évoluer la communication interne des IS et, d'autre part, permettre de renouveler la communication externe des IS dans l'espace public. Instituer une médiation interne conflictuelle La communication interne est constitutive des actions collectives, qu'elles deviennent formelles (associations par exemple) ou restent informelles (à l'image des coordinations). Du coup, chaque type d'action collective doit adapter une communication qui correspond à son mode de fonctionnement. C'est déjà ce qu'affirmait Henri Desroche pour les coopératives : « Si la communication devrait avoir pour fin un mode de coopération, la coopération devrait avoir pour moyen un mode, voire un régime de communication » (1986, non paginé). Si l'on élargit ce propos, on pourra considérer que toutes les actions collectives démocratiques doivent être régies par une communication démocratique, y compris, bien sûr, les IS. Dans l'article cité, Desroche distingue deux types de coopératives : celles marquées par l'interconnaissance et les autres. Dans les premières, la communication et la démocratie sont fluides parce qu'il s'agit d'une microsociété dont les membres se connaissent et se reconnaissent,