20 septembre 2023
http://creativecommons.org/licenses/by/ , info:eu-repo/semantics/OpenAccess
Céline Cholez et al., « COVoM : Covid On My Mobile: Les applications gouvernementales anti-covid, des outils contre la pandémie ? », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.r4c8i8
Une étude comparative et pragmatique sur les applications du traçage des contacts depuis l'intention jusqu'à la mise en œuvre et l’épreuve par l’usage : France, Japon et ColoradoPlus que toute autre crise, la pandémie de COVID19 a nécessité l’articulation de politiques publiques de différents domaines et avec les comportements individuels et collectifs des citoyens. Considéré comme un point de passage pour soutenir les institutions de santé publique et compléter les outils épidémiologiques traditionnels, le traçage numérique des contacts à l’aide des smartphones a été une innovation fondamentale en réponse à la pandémie de COVID-19. Conçue, développée et mise en œuvre rapidement, avec de nombreuses corrections apportées en phase d’usage, cette solution a ouvert de nombreux débats sur les questions de confiance et de confidentialité, essentielles à son efficacité. A travers une approche pragmatique, le projet COVoM propose une étude comparative internationale des stratégies des acteurs publics et des attitudes des citoyens vis-à-vis de ces solutions, étudiant les différentes trajectoires « d'adoption » de ces applications, depuis l'intention politique jusqu'à la mise en œuvre. L'objectif est de comprendre dans quelle mesure les choix gouvernementaux peuvent façonner la décision des citoyens d'utiliser ou non ce type d’outils de technologie numérique pour la santé. Le projet aidera les décideurs politiques, les concepteurs d’applications, les opérateurs de prévention et les professionnels à identifier les conditions dans lesquelles la numérisation des contacts peut être pertinente dans la lutte contre les pandémies.La combinaison d’études qualitative et quantitative déployées dans les trois pays d’étudeLa méthodologie s'appuie sur trois work packages principaux et combine des enquêtes qualitatives et quantitatives en France, au Japon et au Colorado. Les deux premiers lots de travail abordent les processus de conception d’innovations politiques, techniques et organisationnelles qui soutiennent le fonctionnement des applications de traçage de contacts (ATC). Dans un premier temps, nous avons analysé, à travers une grille commune, des données publiques (articles de journaux, rapports institutionnels, sites internet et controverses sur les réseaux sociaux) pour identifier comment les pouvoirs publics et les institutions en charge de la pandémie de covid19 ont intégré les outils d'applications mobiles dans leurs stratégies de lutte contre la pandémie, en particulier dans le cadre de leur politique « Tester, Tracer et Isoler ». Ensuite, des entretiens semi-directifs avec des membres des équipes de conception des ACT dans chaque pays ont révélé les défis et choix technologiques, les compromis de conception et les aspects pratiques, tels que les problèmes d'efficacité de l'alerte. Le troisième volet de travail était dédié à l'adoption par les utilisateurs et les non-utilisateurs sur la base d'une enquête par panel en population générale, pour identifier les dimensions explicatives des choix des citoyens. Respectivement, 2 000 personnes ont répondu au Japon et en France et 1 000 au Colorado. Nous avons effectué une analyse multinomiale pour régresser la probabilité d'utilisation de l'application sur les variables explicatives relevant de sept dimensions : socio-démographie, sensibilité à la pandémie, confiance, facilité numérique, influence sociale, pratiques de protection contre la pandémie et vie quotidienne.Résultats majeursIl existe des disparités entre les trois pays concernant l'intégration des ACT dans les stratégies de test, de traçage et d'isolement. La France a favorisé les tests de masse et a financé un isolement à grande échelle. Le Japon a restreint l'accès aux tests et n'a soutenu que l'isolement des patients déclarés covid19. Le Colorado a mélangé des mesures d’accès massif et gratuit aux tests et un soutien timoré à l’isolement. De profondes différences dans la culture numérique des systèmes de santé et dans la compréhension des questions de confidentialité ont influencé le choix d’une solution souveraine publique (France) ou privée (Japon, Colorado), avec des conséquences sur la capacité de contrôle et sur l’évaluation de l’efficacité des applications. Ces choix de politique et de design ont impacté le processus d'adoption et d'utilisation : 44,3% des 1 000 Coloradiens interrogés n'ont jamais entendu parler de l’ACT, 36% des 797 Japonais interrogés ayant téléchargé l’ACT l'ont désinstallée et 20,6% des 967 utilisateurs français de l’ACT n’ont jamais activé la fonction de traçage. Dans les trois pays, quatre dimensions semblent associées à l’adoption des ACT par les citoyens : les caractéristiques sociodémographiques, la confiance, l’influence sociale et la sensibilité à la pandémie. Il existe également une corrélation avec le respect des instructions de test, d’isolement et de traçage manuel. En revanche, des contraintes de la vie quotidienne, les pratiques de protection contre le covid19 et les habitudes numériques n'influencent pas significativement l'adoption d’une ACT. La recherche COVoM offre les prémisses et la base de données pour explorer des questions fondamentales concernant les relations des individus aux risques infectieux. Il contribue également à la sociologie de la digitalisation de l'action publique et de l'innovation « de crise », principalement via les technologies numériques.