2019
Cairn
Sophie Minon, « L’ordre des mots en prose grecque de registre soutenu : gradation et discontinuité de saillance », Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes, ID : 10670/1.r7cq2x
La comparaison de la prose soutenue dans deux extraits, l’un, du premier discours de Périclès (Thuc., 1 144, 2), l’autre, d’un décret athénien contemporain ( IG I3 127) montre que la différence dans l’ordre des mots, d’un texte à l’autre, est insignifiante, même du point de vue rythmique : les deux types d’écrits ressortissaient, en effet, au même art de l’éloquence reposant sur l’écriture auquel s’adonnaient les pepaideumenoi, et non à la langue de communication standard. S’y observe une remarquable coïncidence entre mots (hyper)saillants et effets rythmiques : la plupart des saillances rythmiques sont situées en tête et à la fin des trois niveaux de la période, et parfois au milieu aussi ; elles avaient pour effet de signaler certaines des saillances pragmatiques, qu’elles aient exactement coïncidé avec elles ou se soient étendues de part et d’autre. Notre hypothèse est que la saillance peut être divisée approximativement en quatre degrés : (zéro) SØ, ( moyenne) S, ( forte) S, ( hyperforte) S+. Seuls les marqueurs peuvent être SØ, tandis que les autres degrés peuvent concerner à la fois topique(s) et focus, et à chaque niveau de la période. Les hypersaillances ponctuelles et isolées peuvent correspondre à ce qui était analysé stylistiquement dans l’Antiquité comme prolepse et hyperbate. L’une et l’autre sont faites d’un désordre construit : des syntagmes, ou leurs noyaux seulement, sont mis à l’extérieur de propositions, qui deviennent ainsi discontinues, ou peuvent se trouver disloqués par l’insertion d’un verbe au milieu. Dans ce cadre, la gradation de saillance semble être la représentation la plus appropriée pour décrire la structure pragmatique de la période et de ses composantes. Cela pourrait être schématisé comme une courbe de pics et de repos, ponctuellement rehaussée d’‘hyper-pics’. La discontinuité sporadique est clairement faite d’hypersaillances qui contrastent avec la saillance zéro des marqueurs qui les propulsent. Les degrés de saillance moyen et fort ( S et S) semblent être d’ordre seulement pragmatique alors que l’hypersaillance ( S+) est aussi stylistique, c’est-à-dire plus individuelle, visant à convaincre ( docere), émouvoir ( mouere) voire charmer ( delectare) audience et lecteurs, comme y contribuent les artifices esthétiques, à savoir acoustiques et graphiques.