2013
Cairn
François Dingremont, « La subtilité du phoque. La nature équivoque dans la Grèce archaïque », Cahiers d'anthropologie sociale, ID : 10670/1.rhfm1v
Dans l’Antiquité, naturalistes et poètes reconnaissaient dans la nature amphibienne du phoque une subtilité. C’est sur cette dernière que s’appuie Homère, lorsque dans le chant V de l’Odyssée, il décrit la confrontation entre Ménélas et Protée, le « Vieux de la mer » au savoir prophétique, gardien des phoques de Poséidon. Ce dernier pour échapper à la capture par les hommes et ne pas avoir à délivrer sa connaissance divinatoire avait pour habitude de se lancer dans un cycle de métamorphoses. Le savoir de Protée est pourtant nécessaire à Ménélas afin qu’il apprenne les raisons pour lesquelles il se trouve bloqué sur cette île faute de vents favorables pour reprendre la route vers sa patrie. Le héros parvient à déjouer les leurres de Protée. Il le défait en surenchérissant dans la logique des leurres. Il se dissimule en effet sous la peau d’un phoque pour surprendre Protée et faire cesser ses transformations. Le vieillard est pris au piège de plus ondoyant que lui.Cet article, s’inscrivant dans un cadre de réflexion anthropologique sur la mètis, pose la question de l’efficacité de la ruse de Ménélas. L’hypothèse envisagée tend à montrer que modifiant sa propre nature, grâce au contact avec l’épiderme du phoque, Ménélas tire momentanément profit des qualités ambivalentes et équivoques de l’animal. En quelque sorte lui aussi, ayant pris l’apparence d’un phoque, se métamorphose et bénéficie de la subtilité de l’animal. Ce faisant, il dépasse les limites de sa nature et parvient à faire de l’adversité de Protée, et de l’univers marin en général dont le vieillard est une figure, une complicité. Comme souvent chez Homère, l’exposition de la subtilité de Ménélas renforce celle d’un poème aussi rusé que ses protagonistes.