2019
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Leszek Brogowski, « Galerie Documents d'artistes 3 : Les Arts Incohérents », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.roo6k0
Depuis 2018, Leszek Brogowski est responsable de la programmation de la « Galerie dédiée à Andrzej Pierzgalski : documents d'artistes » au sein de la revue Sztuka i Dokumentacja (art et documentation), éditée par l'Académie des Beaux-Arts de Gdańsk, Pologne. Publication en open access. Le numéro n° 21 (Spring-Summer) 2019, comporte le dossier consacré aux Arts Incohérents (p. 217-302). Responsable du dossier : Corinne Taunay. Le dossier comporte : « Hypothèses de programmation 3 », notice biographique et l'information sur le fac-similé par L. Brogowski (en polonais, anglais et français, p. 217-224), le fac-similé d'Album primo-avrilesque d'Alphonse Allais, 1897, la traduction en polonais par L. Brogowski (p. 227-262), l'article de Corinne Taunay, accompagné de 25 illustrations n/b et couleur, « Sans documents, pas d’Incohérents », et sa traduction en polonais par L. Brogowski : « Sztuki Niezborne i praktyka dokumentu (1882-1893) » (p. 264-293), notes, liste d'illustrations, bibliographie en français et en polonais (p. 294-299) abstract en anglais p. 301.Résumé de l'article de C. Taunay : Sans documents, pas d’Incohérents : La dernière exposition des Arts Incohérents ayant eu lieu en 1893, c’est rétroactivement, en 1897, dans son Album primo-avrilesque composé de « monochromes », qu’Alphonse Allais donnera à voir trois des œuvres sur quatre qu’il avait présenté aux Arts Incohérents, en 1883 et en 1884. En effet, seuls leurs titres figurent dans les catalogues d’exposition des Incohérents, tel Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige, Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la Mer Rouge, Les grandes douleurs sont muettes. Toujours rétroactivement, en 1904, dans un article signé Ésope fils, paru dans Le Sourire, Allais entérine le terme monochrome (bien avant Yves Klein) pour désigner des œuvres d’une seule et même couleur. Dans ce texte de 1904, dont la pertinence du contenu passa inaperçu, se rejoue l’histoire de la généalogie du monochrome. A partir du « cas Allais » que l’on vient d’esquisser, on souligne l’importance de la place du document, de l’imprimé, dans l’histoire des Arts Incohérents et de leur réception jusqu’à aujourd’hui. Par ailleurs, il s’agit de voir plus largement la place des documents imprimés, (journaux, catalogues d’expositions, cartes d’entrée, affiches, etc.) dans l’histoire des Arts Incohérents. Collectif de plus de 600 artistes, qui créèrent plus d’un millier d’œuvres au fil de sept expositions à Paris, de 1882 à 1893, malgré leur ampleur les Arts Incohérents n’existent aujourd’hui que par la mémoire des archives, alors que paradoxalement ils avaient eux-mêmes défié tout formatage, tout classement, et que l’administration s’inventait à leur époque. En désobéissant aux règles instituées par l’Académie des beaux-arts et à partir d’un concept simple en apparence, « faire une exposition par des gens qui ne savent pas dessiner », les Incohérents, artistes d’un nouveau genre, issus de toutes professions confondues, inventèrent des œuvres décalées qui préfiguraient celles des avant-gardes du XXe siècle. Parmi tous leurs chefs d’œuvres d’humour, citons Les Pieds sculptés par le dessinateur Henri Gray dans du fromage de gruyère ou d’un certain Van Drin, Vénus de mille eaux, l’antique déesse de l’amour recouverte de véritables étiquettes d’eaux minérales. La pratique de l’art éphémère ayant entrainé la dématérialisation des œuvres, seul une douzaine d’originaux est aujourd’hui conservée. Les documents permettent de donner corps à une partie des œuvres ainsi que de mieux connaître les intentions des artistes Incohérents, d’approfondir l’approche de ce mouvement. Jusque-là cantonné du côté de la farce, du non sérieux, nous découvrirons qu’ils furent proches des avant-gardes du moment, naturalisme, impressionnisme, bien qu’ils les parodiaient. Au-delà du rire, les Incohérents dénonçaient une réalité sociale et politique. Ainsi grâce aux journaux, nous avons pu acter que leur première exposition (sans catalogue ni affiche) se déroula un 2 aout 1882, jour de la promulgation de la Loi sur l’outrage aux bonnes mœurs. Grâce aux documents que nous continuons de découvrir, nous observons que ce mouvement est plus complexe qu’il n’y parait. Leur rupture radicale avec le dessin dit classique les placent d’un point de vue esthétique du côté des avant-gardes de leur époque, d’un point de vue critique ils interrogent les certitudes du bon goût et de l’idéal bourgeois institutionnalisé. Si leurs œuvres préfigurèrent les formes les plus avant-gardistes de l’art du XXe siècle, nous prétendons qu’ils ont une prise de position, entre non-art et art, qui annoncent plus spécialement l’attitude Dada.