20 avril 2020
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Dominique Desbois, « Défaire le capitalisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme, de Éric Dacheux et Daniel Goujon. », HAL-SHS : économie et finance, ID : 10670/1.ryypnp
Défaire le capitalisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme. Éric Dacheux et Daniel Goujon. Éditions érès, 2020, Toulouse, 360 p., 29,50 euros. L'idée de la démocratie délibérative n'est pas neuve en sciences politiques car on peut la faire remonter à la crise de la cité grecque au V ième siècle avant J.C. avec la naissance de la démocratie athénienne fondée sur l'isegoria, la faculté pour chaque citoyen de prendre la parole pour exercer son pouvoir d'amendement au sein de l'Ecclesia (assemblée délibérative votant la loi). Dans la philosophie politique anglo-saxonne, l'idéal délibératif demeure un paradigme majeur de légitimation dans la prise de décisions politiques. En France, l'implantation de centrales nucléaires a constitué un laboratoire expérimental pour la consultation des populations affectées par ce type de décisions. Dans son ouvrage Libéralisme politique postérieur à Théorie de la justice, John Rawls introduit la délibération pour un donner à sa conception de la raison publique une assise qui prenne en compte le pluralisme des conceptions métaphysiques. Dès la publication de L'espace public, la délibération se situe au coeur de la pensée de Jürgen Habermas s'enracinant dans la critique sociale du capitalisme proposée par l'Ecole de Francfort. Pourtant, en dehors de l'économie politique de la communication, le paradigme délibératif demeure un impensé dans le domaine des sciences économiques. C'est pourquoi, il semble nécessaire de rendre compte en détail du récent essai théorique d'Éric Dacheux et de Daniel Goujon sur l'ancrage économique de la démocratie délibérative. Tant la crise économique de 1929 que la crise financière de 2008 démontrent empiriquement l'incapacité de l'approche néolibérale à prédire les crises de fonctionnement du système capitaliste. D'autant que les évolutions historiques comme la généralisation marchande, la globalisation des échanges, la financiarisation des investissements et des marchés, ou la transition numérique se révèlent en déphasage avec la conception libérale de la théorie néoclassique récusant toute intervention de l'Etat en dehors des défaillances de marché, l'exemple patent étant l'écologie où les dommages environnementaux sont considérés comme des « externalités ». Certes, la théorie économique standard incorpore progressivement les critiques externes dans son corpus hypothétique, par exemples celles formulées par l'économie comportementale conduisant à une certaine « dé-rationalisation » des acteurs humains. Cependant, les nouvelles méthodes développées ne sauraient rejeter le paradigme de la supériorité du marché comme mécanisme efficient d'allocation des ressources. Comme l'affirme Edgar Morin dans un de ses ouvrages les plus récents « Dénoncer ne suffit pas ou ne suffit plus » : une triple crise écologique, économique et politique s'installe en s'amplifiant, largement propagée par de prétendues « lois du marché ». Les auteurs de cet ouvrage partagent avec le philosophe l'idée qu'il nous faut désormais énoncer ce vers quoi nous devons tendre. Pour le dire plus précisément, Éric Dacheux, professeur en sciences de l'information et de la communication et Daniel Goujon, maître de conférence en sciences économiques, affirment que ce qu'ils appellent la « science économique orthodoxe » dominante dans le milieu académique a peu évolué alors que le monde change.