Hume et l'agentivité morale des animaux

Résumé Fr

Philippe SALTEL Hume conçoit, dans le cadre de son analyse sceptique, une nature humaine animée par des principes passifs : associations, accoutumance, transitions faciles entre les perceptions de l'esprit, tendance au plaisir, combinaisons d'idées et d'impressions... ce faisant, il porte évidemment atteinte aux prétentions d'une anthropologie philosophique concurrente, selon laquelle l'homme serait doté de principes actifs ou de facultés spécifiques le délivrant des mécanismes et des enchaînements propres au reste du monde : raison, volonté, sens moral, goût esthétique, capacité d'agentivité politique manifestée par la contractualisation et la rupture avec un état de nature. On peut donc dire que l'idée humienne de l'homme n'en fait pas « un empire dans un empire » et la manifestation la plus évidente se trouve dans le fait que Hume cherche confirmation de son explication de la nature humaine dans les opérations qui caractérisent la vie animale, et ce à deux reprises dans ce qu'il est convenu de considérer comme le triptyque du système : • dans l'étude des pouvoirs de l'entendement (TNH 1.3.16 ; EEH 9), il consacre un chapitre à « la raison des animaux » ; • dans l'analyse des passions, il conclut chaque étape par des remarques sur la similitude des mécanismes affectifs chez les animaux : TNH 2.1.12, « De l'orgueil et de l'humilité chez les animaux », 2.2.12, « De l'amour et de la haine chez les animaux », puis, au sujet des passions directes (2.3.9), cette seule sentence : […] je laisse de côté l'examen de la volonté et des passions directes, telles qu'elles se présentent chez les animaux, puisque rien n'est plus évident qu'elles sont chez eux de même nature et proviennent des mêmes causes que chez les êtres humains 2. Mais ce même lecteur ne pourra manquer de remarquer l'absence d'un chapitre équivalent ou de remarques du même genre dans le livre III du Traité, consacré à la morale, et dans sa reprise sous la forme de la seconde Enquête. Il s'agit d'expliquer cette dissymétrie, autrement dit de comprendre comment il est philosophiquement possible de soutenir à la fois la thèse d'une continuité entre les deux espèces (deux espèces d'un même genre) et la thèse d'une supériorité de l'espèce humaine, seule capable d'une vie morale complète. C'est d'abord et en son fond une position naturaliste, comparable mutatis mutandis à 1 Merci à Marlène Jouan pour son invitation, à Jean-Yves Goffi et Michel Malherbe pour leurs remarques et questions. Je renvoie aux oeuvres de Hume en utilisant les abréviations courantes, TNH pour le Traité de la nature humaine (Livre, Partie, Section), EEH pour l'Enquête sur l'entendement humain (Section), EPM pour l'Enquête sur les principes de la morale. L'initiale qui suit indique l'édition française de référence.

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