2018
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Nicolas-Xavier Ferrand, « LE RÉEL : ONTOLOGIE PLASTIQUE D'UN MONDE FLOTTANT », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.s6b7zn
La notion de réel est à n’en pas douter l’un des grands concepts clés de la pensée occidentale moderne. Elle constitue l’un des maitres-étalon de l’édification de toute chose, réflexion, action, par sa capacité à dire l’essence de l’existence. Pour autant, la notion elle-même n’a jamais véritablement vu son histoire proprement écrite, ni sa définition véritablement clarifiée. Inventée au XIIIe siècle par le théologien scolastique Jean Duns Scot, « la réalité », au départ créée pour parler des essences des choses, a pris différents visages : l’invention de la perspective, de l’imprimerie, la révolution copernicienne, les travaux de Descartes, Berkeley, Hume, Kant précisent tour à tour un réel objectif, possible, intrinsèque, inconnaissable. Cette possibilité plastique du réel, qui se confirme aussi bien dans la figuration artistique et littéraire que dans l’avancée considérable des sciences humaines et sociales tout au long des XIXe et XXe siècles, s’ossifie considérablement lors de la seconde moitié du siècle dernier et l’avènement de la postmodernité. La déroute des totalisations, la fin des « grands récits » mise en lumière par Adorno et Lyotard laissa l’être humain postmoderne dans un grand désarroi ontologique, avec comme dernière variable d’ajustement le principe d’efficacité. Si cette optique avait pour but honorable de le préserver de l’aveuglement face aux systèmes de pensée surplombants, la pratique de l’efficacité eut pour conséquence de réduire le réel à une ontologie technoscientifique dominée par le factuel, le concret et le chiffré. Pourtant, de nombreux travaux, de la philosophie de Markus Gabriel, l’anthropologie de Philippe Descola, ou les travaux plastiques de David Hockney et Bertrand Lavier, réfutent cette unicité du réel et proposent des visions beaucoup plus enrichies. Le présent article vise à remettre en perspective historique la notion de réel, et à proposer, à l’aune de ces récentes approches du terme, une augmentation et une redéfinition anthropologique du réel, qu’il s’agisse du renversement de la perspective occidentale, d’une révision du rapport trouble entre réel et fiction, ou réel et virtuel, et à appeler à la remultiplication des voix qui définissent le réel.