11 juin 2019
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Jean-Baptiste Santamaria, « « Comment roys et princes doivent diligamment entendre a la conduite et gouvernement de leurs finances ». Portrait du prince en maître des comptes à la fin du Moyen Âge. », Comptabilités, ID : 10670/1.s7ggxs
Le développement d’une administration financière considérable à la fin du Moyen Âge semble avoir éloigné les princes de la gestion des finances. En réalité, ce désintérêt parfois affiché est un calcul politique, destiné à protéger le prince d’une réputation d’avare et de cupide, notamment du fait de l’essor d’une fiscalité très mal perçue. La question du rapport personnel du prince à l’argent est à la croisée de l’histoire culturelle et administrative et passe par l’analyse des sources littéraires comme financières, des miroirs des princes et des règlements administratifs. Les princes continuent de recevoir une éducation à l’argent : les miroirs des princes les alertent en particulier sur la mesure qu’ils doivent avoir face à une puissance destructrice capable de les mener sur les voies de l’avarice. Le sujet gagne en importance entre le xiiie et le xve siècle, dénonçant aussi bien la cupidité que la « folle largesse » dont les effets sont désastreux car ils entraînent la hausse des impôts. Le prince dédaigneux de ses comptes est donc un mauvais prince, et certains traités comme l’Instruction d’un jeune prince entendent former un véritable spécialiste des finances tout en conservant le socle moral ancien. Dès lors, la perte d’intérêt parfois affichée par les princes est un trompe-l’œil : certes, une partie du travail le plus fastidieux échappe désormais à leur attention, notamment l’examen des comptes, du moins des plus secondaires. Le temps des institutions et des chambres des comptes semble les dessaisir et les princes jouent de cette idée pour protéger leur réputation lorsqu’on leur demande des comptes. Mais le prince refuse d’abandonner le contrôle sur cet élément essentiel de son pouvoir. La maîtrise des enjeux financiers est d’ailleurs patente si l’on suit la formation empirique reçue par les princes, et les lettres de Charles V comme de Louis XI témoignent de leur connaissance, de leur intérêt, voire de leur goût pour la question. Paradoxalement, le xve siècle si marqué par l’essor bureaucratique voit surgir la figure du prince expert : Charles VII se retrouve ainsi représenté au temps de Louis XII au milieu de sa Chambre des comptes, tandis que Louis XI cache de moins en moins son intérêt pour l’argent. Une tendance similaire se rencontre chez les ducs de Bourgogne, et la rupture semble évidente entre un Philippe le Bon présenté comme dispendieux et Charles le Téméraire, que Georges Chastellain ou Olivier de la Marche nous montrent au fait de toutes les questions financières et effectuant lui-même le compte de ses richesses, non par avarice mais afin d’éviter de pressurer ses sujets. Loin d’être isolées, ces figures apparaissent en fait assez banales : l’œuvre poétique de Charles d’Orléans est ainsi truffée d’allusions financières, et le prince poète se vante d’examiner lui-même ses comptes durant sa captivité anglaise. Même Philippe le Bon est présenté par Olivier de la Marche comme celui qui fait rendre compte de l’honneur des chevaliers de la Toison d’Or lors de la tenue du chapitre de Gand en 1445. Ce faisant, il reprend la métaphore assez classique de la « grand chambre des comptes » qui attend chacun dans le ciel, lorsqu’il devra rendre compte de ses actes devant Dieu.