15 décembre 2021
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Charles Rigaux, « L’œnotourisme en Bourgogne : outil marketing, économique, mais surtout diffuseur d’image », Territoires du vin, ID : 10670/1.s9rbfd
L’œnotourisme s’est développé, en premier lieu, dans ce que l’on appelle les « nouveaux vignobles » (Lignon-Darmaillac, 2014). Cet outil a permis à ces régions de revenir dans la course du « marché des réputations » (Chauvin, 2010), en transformant leur image, créant ainsi des destinations œnotouristiques, se réappropriant le produit culturel qu’est le vin en le transformant en outil d’attractivité. Repris à la fin du XX° siècle par les pays européens, le tourisme viti-vinicole prend des formes diverses, en fonction des vignobles. Les objectifs ne sont pas les mêmes, certains vignobles l’utilisent pour renforcer leur attractivité et augmenter les ventes, d’autres pour diffuser un imaginaire et conforter leur place dans la hiérarchie des vignobles mondiaux et nationaux.En Bourgogne, malgré la réputation de certains vignobles de la région, l’œnotourisme peut être un outil intéressant, dans des dimensions et objectifs différents. Si l’image des vins de la région à travers le monde ne cesse de croître, tous les vignobles de la région ne sont pas égaux. Ainsi, les grands vins de la Côte de Nuits et de la Côte de Beaune font office de porte-parole de renom, laissant derrière eux des vignobles qui n’écoulent pas encore leur production au même rythme, ni aux mêmes prix. Ce sont ces vignobles qui vont développer un intérêt important pour l’œnotourisme, dans l’objectif de renforcer leurs ventes, leur image et de créer une destination touristique centrée autour de vignobles moins renommés mais plus faciles d’accès.Mais l’œnotourisme est également un outil essentiel pour la Côte de Nuits et la Côte de Beaune, de par son pouvoir de diffusion d’un imaginaire (Amirou, 2012), socialement construit. Grâce à cette forme touristique, sa compatibilité et sa complémentarité avec l’éco-tourisme, en plein essor, c’est l’ensemble d’un vignoble qui y trouve son compte, diffusant une image où les critères de qualité, d’authenticité, de tradition, trouvent leur légitimité auprès du consommateur et du touriste.Au sein d’une même région viticole, l’œnotourisme peut donc être un moyen de répondre à la hiérarchisation des vignobles, permettant aux acteurs les moins médiatisés de renforcer leurs ventes et leur attractivité. Dans la même logique que celle qui a amené à sa création dans les vignobles du nouveau monde, l’œnotourisme est un moyen pour les vignobles les plus « modestes », d’exister face aux « mastodontes » (à l’échelle internationale, nationale et régionale).À partir d’exemples bourguignons, il sera question d’envisager cette dialectique régionale, faisant écho aux logiques ayant contribué à l’émergence de ce phénomène touristique en plein essor. Car c’est également le reflet des tensions qui animent la Bourgogne, ses vignobles et ses différents territoires viticoles, dont l’homogénéité n’est qu’une question de nom.L’œnotourisme se développe dans un premier temps sur les territoires les plus attractifs, ceux qui jouissent d’une réputation internationale, les vignobles de Côte d’Or principalement, regroupant 32 des 33 grands crus. Cependant, ces vignobles n’ayant que peu besoin de cet outil, les initiatives sont restreintes et les touristes frustrés de n’avoir accès aux domaines les plus prestigieux.À l’inverse, d’autres vignobles bourguignons, qui ne bénéficient pas de la même réputation, voient en cette nouvelle forme touristique l’opportunité de construire un « imaginaire », par lequel ils pourront rééquilibrer leur place dans le marché des réputations. Les initiatives sont plus nombreuses et surtout, une place plus importante leur revient. Pourtant, il n’est pas évident d’attirer les touristes qui veulent découvrir les climats les plus renommés. Mais le dynamisme, l’imaginaire, la production et les prix sont autant d’arguments qui vont permettre l’émergence des activités dans ces territoires.Ces deux modèles régionaux permettront de mettre en avant les deux facettes de l’œnotourisme. Les exemples, issus du recueil de données qualitatives à travers des entretiens et observations, montrent que ce tourisme viti-vinicole est un outil marketing qui ne se limite pas aux acteurs les plus « modestes » en termes de réputation.En s’intéressant aux professionnels de l’œnotourisme, à travers son émergence en Bourgogne, et les formes spécifiques qui en découlent, on analyse donc un phénomène touristique complexe, socle d’un monde social au sein duquel se tissent des relations d’interdépendance, ce que l’on nomme des écologies liées (Abbott, 2003). Les enjeux de ce tourisme viti-vinicole sont au cœur des projets des territoires et son rôle dépasse les prénotions communément partagées. En prenant appui sur l’image du vignoble, développée notamment à travers les actions d’acteurs tels que la Confrérie des Chevaliers du Tastevin dans les années 1930 (Jacquet & Laferté, 2014), l’œnotourisme devient petit à petit l’expression d’un vignoble, celle qui se propage dans le monde et diffuse la figure de la culture viticole de la région. Il semble donc que ce soit un tournant dans l’histoire de ce phénomène, dont l’importance pourrait encore augmenter dans les années à venir, de par sa double utilité, que nous évoquerons. L’œnotourisme est donc un enjeu politique et économique aux répercussions multiples mais surtout aux avantages divers, qui concernent une palette hétérogène d’acteurs du secteur viticole et touristique. En profitant de l’image qui se diffuse en partie par le biais de l’œnotourisme, des vignobles moins attractifs pourraient bien développer une offre plus à même de répondre à la demande de ce marché en plein essor. Grâce à cet outil, ces vignobles peuvent mettre en scène leurs territoires et développer une offre touristique complète, profitant de l’image socialement construite et portée par l’œnotourisme.