2018
Cairn
Augustin Berque, « La terre et la Terre : une question d’échelle, une question de devoir », Revue juridique de l’environnement, ID : 10670/1.sb70wx
La modernité évolue essentiellement dans le sens d’une déterrestration en rompant les liens entre l’Humanité et la terre (le sol) d’une part, la Terre (la planète) d’autre part, entraînant ainsi une dégradation des sols – du point de vue pédologique et anthropologique, avec « la fin des paysans » – et de la planète (avec la dite ère de l’Anthropocène, qui mène à la sixième extinction de la vie sur Sol III), à laquelle elle entend remédier en s’appuyant sur le moment structurel (couplage dynamique) du Transhumanisme et de la Géo-ingénierie. Nous devrions au contraire retisser nos liens terrestres en convertissant, d’une part, l’agriculture intensive en permaculture et en culture écologique – comme l’agriculture naturelle ( shizen nôhô 自然農法) de Fukuoka, qui est l’exacte opposée de l’agronomie moderne, prônant les quatre principes « sans labour, sans engrais, sans pesticides, sans désherbage » –, et, corrélativement, prendre soin de l’environnement et de la biodiversité en général au lieu de les gaspiller. Il s’agit d’un choix non seulement technique, mais également moral, qui appelle à dépasser les fondements ontologiques et logiques mêmes de la modernité : le dualisme et la loi du tiers exclu. L’adhésion indéfectible à la profession de foi moderne du cogito (« Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle »), qui contribue à séparer notre être à la fois de la terre et de la Terre, pourrait tôt ou tard entraîner l’extinction de notre espèce sur Sol III.