21 avril 2023
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Annabelle Lever, « La Vie Privée », Archive ouverte de Sciences Po (SPIRE), ID : 10670/1.scwyzq
La vie privée est une valeur janusienne. Elle est ce qui nous permet de nous retrancher du monde extérieur, cependant la forme qu’elle prend et l’étendue de sa protection sont fondamentalement des questions d’ordre public. Sans surprise, donc, la vie privée et sa protection font l’objet d’un intérêt public considérable mais aussi de controverses quant au rôle approprié de l’État ainsi qu’aux droits et devoirs des individus.Cet ouvrage explore ces composantes janusiennes de la vie privée et examine leurs implications sur le contrôle de l’information personnelle, sur la liberté sexuelle et reproductive, et sur la vie politique démocratique. Il questionne ce qui pourrait être, ou non, préjudiciable dans le fait de demander aux femmes d’obtenir une autorisation pour tomber enceinte et avoir des enfants, puisque la grossesse et l’accouchement peuvent sérieusement nuire à leur santé. Il considère si les employeurs peuvent surveiller les amitiés et les activités financières de leurs employés, et si nous sommes en droit de savoir si une personne riche, célèbre ou influente est atteinte d’un cancer ou entretient une liaison adultère. Il examine si nous avons le droit à la vie privée en public, et si oui, ce que cela pourrait signifier pour l’utilisation de caméras de surveillance, le traitement des personnes sans-abri et la provision d’aménagements publics telle que les parcs, les bibliothèques et les toilettes publiques.Par dessus tout, ce livre cherche à comprendre si – et dans le cas affirmatif pourquoi – la vie privée est a de la valeur dans une société démocratique et, qu’est-ce qu’elle implique quant à la façon dont nous construisons nos rapports avec les autres. Nos idées sur la vie privée sont héritées du passé et sont marquées par des croyances sur ce qui est désirable, réaliste et possible qui préexistent le gouvernement démocratique et, parfois même, qui préexistent le gouvernement constitutionnel. Ainsi, quoique la vie privée est une valeur démocratique importante, nous ne pouvons prendre conscience de sa valeur que si nous nous référons aux idées démocratiques de liberté, d’égalité, de sécurité et de droits des individus pour nous guider dans notre compréhension de celle-ci.Ce livre offre une approche propre à la théorie politique de la vie privée. Il met en lumière la vie privée au travers des idées familières sur la politique et la moralité afin de pouvoir comprendre et évaluer les affirmations contradictoires émises sur sa nature, son contenu et son importance dans le nombre croissant d’ouvrages et d’articles qui paraissent sur le sujet. Ces écrits, allant d’une analyse très abstraite et spéculative du sujet à une analyse plus détaillée de lois et de régulations, peuvent certainement désorienter le lecteur ordinaire (mais aussi le philosophe) par leur variété et donner l’impression qu’il est impossible de pouvoir les réunir en une image cohérente.Si je ne peux promettre une telle image, j’espère au moins apporter une esquisse du sujet pour que les lecteurs puissent l’enrichir et le nuancer. J’ai essayé de limiter l’attirail universitaire des notes de bas de page à son minimum. Les références fournissent donc des liens d’informations en ligne, de livres et d’articles qui pourraient intéresser des non-spécialistes. Je souhaite que les lecteurs non-universitaires puissent apprécier ce livre sans rencontrer trop de difficultés à sa lecture et que ceux qui possèdent plus d’expertise sur le sujet trouvent les idées et les méthodes suffisamment originales.Le premier chapitre porte sur les raisons pour lesquelles des personnes intelligentes, bien intentionnées et réfléchies ne s’accordent pas sur la nature et la valeur de la vie privée. Il considère aussi comment le vote à bulletin secret – vu autrefois comme un ennemi de la liberté politique et maintenant comme la marque du gouvernement démocratique – peut nous aider à comprendre ces désaccords. Le deuxième chapitre aborde ensuite l’éthique du « outing » – ou la publication sans consentement d’information personnelle réelle – et montre comment les protections de la vie privée visant la confidentialité, l’anonymat et l’intimité peuvent renforcer, plutôt que réduire, la liberté d’expression et la politique démocratique. Le troisième chapitre, quant à lui, analyse les implications de la vie privée pour le sexuel, la reproduction, et la famille. Par ailleurs, il montre en quoi le droit de vivre avec et de s’occuper de ceux que l’on aime sont centraux à la perspective démocratique de la vie privée. Enfin, le quatrième et dernier chapitre examine la relation qui existe entre la vie privée et la propriété ainsi que ses conséquences pour la coopération sociale.Avant cela, toutefois, nous avons besoin d’une certaine mise en scène philosophique. Les dramaturges ont pour coutume de débuter leurs pièces de théâtre par une didascalie telle: « Nous sommes dans les années 1950. Annie, 1m58 et assise, tricote près de la fenêtre... ». Pour les philosophes, la mise en scène consiste principalement à poser des commentaires sur la terminologie employée et sur les hypothèses de travail. Le but général, cependant, reste le même : préparer l’esprit à l’action qui va suivre et faciliter la compréhension de l’intrigue telle qu’elle se déroule. J’espère que les remarques qui suivent serviront ces deux fins.