13 mai 2022
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Sylviane Médard, « De la matérialité des miroirs intempestifs Etude de la figure du lecteur de poésie en milieu numérique », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.tpnor7
Les études concernant la littérature numérique commencent à émerger, toutefois, le destinataire n’est qu’à de rares occasions pris en compte. Notre propos est ici de voir dans quelle mesure la matérialité numérique engendre une figure différente de lecteur, mais aussi comment cette matérialité contribue à faire émerger une poétique qui justement s’appuie sur le rôle donné au lecteur, tout en s’inscrivant résolument dans un contexte de communication. Nous étudierons les textes correspondant aux années 2004 et 2005 de Being human d’Annie Abrahams, les poèmes présents sur l’onglet « digital » du site de José Aburto Entalpia ainsi que l’œuvre de Jason Nelson Game game game and again game. Nous avons cherché à mettre les théories de la réception à l’épreuve de la matérialité numérique, dans une approche phénoménologique.La poésie numérique sollicite le corps de son lecteur qu’elle veut d’abord opératoire. Le corps auquel s’adresse José Aburto est un corps regardant, celui qui intéresse Jason Nelson, un corps mouvant et jouant, et enfin, le corps, pour Annie Abrahams, est perçu de façon plus holistique et plus sensible. Pour instituer ces différents corps de lecteur, la poésie numérique procède par interpellation : elle assigne au lecteur un espace, extérieur à l’œuvre, une temporalité, et ce, d’autant plus aisément qu’elle joue avec l’imaginaire d’un medium voué à la communication. L’interpellation brouille les frontières de l’œuvre, empiète sur l’espace du lecteur, dans un processus qui se rapproche d’une aliénation. Le rapport au temps est également bouleversé : œuvre, auteur, lecteur coexistent dans une même temporalité, réduite à un présent discursif. Le questionnement du lecteur dans sa matérialité permet de l’incarner poétiquement. Ses gestes apparaissent comme autant de tropes poétiques. La présence du lecteur procède des contradictions que l’œuvre entretient avec son milieu. Ainsi, le lecteur poétique et opératoire semble entrer en conflit avec un lecteur plus herméneutique. Le mouvement dans l’œuvre se fait au détriment de la dynamique interprétative. L’interaction de la présence poétique et de l’herméneutique amène alors à s’interroger sur la part du signe numérique dans le processus herméneutique. L’image, le mouvement le lien apparaissent comme des signes sans référentialité, porteurs de signification plus que de sens. L’œuvre numérique, en tant que dispositif, amène son lecteur à produire une interprétation en redoublant en quelque sorte sa lecture. Ce n’est plus la lecture qui génère une interprétation, mais l’interprétation de la lecture, du mouvement dans l’œuvre, qui doit produire une signification plus qu’un sens. La poésie apparait donc comme une réflexion et sur le signe lui-même et sur la dynamique de compréhension, elle-même prise dans le miroir du mouvement de l’œuvre. Le sujet lecteur nait alors de ce processus d’aliénation, lié au milieu numérique et de son détournement réflexif par le dispositif poétique.