15 juillet 2021
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Fanny Fournié et al., « Lecture écopoétique de deux pièces de Maguy Marin : quand la danse contemporaine met en scène les tensions entre la notion de sauvage et nos façons d’habiter le monde », Textes et contextes, ID : 10670/1.tpq7o0
Dans les pièces de Maguy Marin, la scène offre une sorte de micro-société en relation avec son environnement, que celui-ci soit naturel ou urbain. À travers ses chorégraphies, Marin explore les interactions et contraintes liant les individus à leur milieu. Simultanément, ses pièces donnent à voir l’évolution de corps qui semblent tantôt en harmonie avec leur environnement (Eden, 1986), tantôt aliénés à lui (Umwelt, 2004). À l’aide de ses danseurs et danseuses, véritables artisans de l’œuvre, Maguy Marin met en scène comment le corps d’un individu trouve sa place et évolue à la fois dans un groupe et dans un milieu. Le « vivre ensemble », le « danser ensemble » et le « créer ensemble » sont ainsi des thématiques phares dans l’œuvre de Marin. Cet article s’intéresse particulièrement à Eden et Umwelt, dont le décor, la chorégraphie, les paysages sonores et la mise en scène interrogent les modes de vie des animaux humains que nous sommes. C’est ce qu’indique notamment le titre d’Umwelt, faisant référence aux travaux de Jakob von Uexküll sur le comportement animal. L'éthologue forgea le concept de « Umwelt » pour renvoyer au milieu spécifique d’un animal tel que celui-ci le perçoit en fonction de ses capacités sensorielles propres. Que suggère alors ce titre pour une pièce qui met en scène les animaux urbains que nous sommes devenus ? Pour appuyer notre réflexion sur le sauvage urbain dans l’œuvre de Marin, nous proposons une lecture écopoétique des lignes de convergence et de divergence entre Umwelt et une pièce bien plus ancienne dans la carrière de Maguy Marin, Eden. Envisagées tel un diptyque, ces deux pièces offrent un contraste saisissant entre deux visions, l’une à priori enchantée, d’un retour au jardin d’Eden, et l’autre, à priori désenchantée, de l’animal humain évoluant dans un milieu suranthropisé. L’écart et les résonnances entre les deux pièces révèlent néanmoins à quel point la réflexion environnementale demeure au cœur de l’œuvre de la chorégraphe. Aussi étudions-nous ici combien les questions du naturel et du culturel, ainsi que du sauvage et de l’urbain, accompagnent chez Marin à la fois le processus de création en danse et sa réception. Dans Eden, on dirait que les humains sont, comme dans le mythe, restés en symbiose avec leur milieu, alors que Umwelt met en scène un climat quasi-apocalyptique qui évoque la crise climatique et l'effondrement de la biodiversité en cours. Que signifient le rythme effréné, le bruit, les souffleries et les autres dispositifs scéniques troublants dans Umwelt, sinon que les humains, par leur modernité, en sont venus à rendre leur propre milieu inhospitalier ? La musique dans cette pièce se donne à entendre comme un chant de révolte de la biosphère à l’ère de l’Anthropo(bs)cène, laissant percevoir la présence de Gaïa qui, comme au tout début de Eden, gronde et souffle en réaction à l’activité humaine. En nous fondant sur une lecture écopoétique, nous verrons quelle danse cette musique furieuse de la Terre inspire alors à ces individus au mode de vie tourmenté, pour montrer qu’en fin de compte, c’est, paradoxalement, à une forme de réenchantement du monde et du sauvage urbain qu’invitent de façon inversée ces deux pièces chorégraphiques, leurs décors et leurs paysages sonores.