Fragments d’un discours d’apprentissage : Le Fil de C. Bourdin et L’Apprentissage de J.-L. Lagarce

Résumé Fr

Dans la période qui s’étend entre la découverte d’un test permettant de révéler la présence du VIH et le développement de trithéraphies efficaces, la nouvelle de leur séropositivité a confronté des individus à une médecine impuissante et à un avenir totalement opaque. Plongés dans une ignorance d’une nouvelle espèce, les écrivains qui ont mis en récit l’expérience de leur sida ont été mués de force en « apprentis malades » (G. Hocquenghem). L’Apprentissage de Jean-Luc Lagarce et Le Fil de Christophe Bourdin, deux récits autobiographiques publiés en 1994, ont pris la forme d’une « autoscopie », examen par un « moi » des signes émis par un corps métamorphosé. Pour se saisir à nouveau d’un soi désormais aliéné, ces deux écrivains ont déployé dans leur narration des fragments d’un récit d’apprentissage, dans lequel le sujet se mue un herméneute inquiet de soi. La nouvelle temporalité instaurée par la séropositivité engage un autre savoir du temps : la continuité linéaire brisée déplace la saisie d’une identité dans la durée vers une appréhension de soi par les modes d’être au monde, notamment par l’usage du conditionnel, mode de l’utopie ou de l’uchronie. Ces apprentissages, menés sans concession à des explications schématiques ou aux illusions d’une transcendance, se présentent aux lecteurs d’aujourd’hui comme une admirable leçon de courage face aux aléas terrifiants de la condition humaine.