Cavell, le cinéma, l’éducation des adultes, le care et le gaslighting

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Le 12 mai 2023, dans le cadre d’un séminaire du laboratoire Formation et apprentissages professionnels (FoAP) organisé par Brad Tabas, ENSTA Bretagne, sur Teams.L’intervention visait à présenter certaines ressources pour la formation des adultes offertes par la philosophie de Stanley Cavell. Héritier des recherches philosophiques d’Austin et de Wittgenstein, Cavell a été l’un des premiers à mobiliser les ressources de la « philosophie du langage ordinaire » pour penser des domaines comme la morale, la politique, mais aussi les arts comme la peinture, la littérature, l’opéra, le théâtre et le cinéma.Son livre le plus célèbre en France, À la recherche du bonheur : Hollywood et la comédie du remariage, est ainsi fondé sur l’idée que certaines comédies hollywoodiennes des années 1930-40 sont riches de réflexions éthiques de première importance que l’on ne trouve pourtant pas dans les livres classiques de philosophie morale. Dans cette perspective, ces films sont en mesure d’offrir une « éducation des adultes » qui passera notamment par la redécouverte d’une tradition que Cavell appelle le « perfectionnisme moral », mais aussi par la pratique d’exercices spirituels. Mais l’éducation offerte par certains films ne tient pas seulement à ce que ces œuvres abordent des sujets généralement ignorés par les philosophes. Cavell soutient en outre que c’est la nature même du cinéma que de nous permettre de prendre conscience de l’importance de certains sujets moraux en faisant en sorte de diriger notre attention sur des événements et des réalités qui tendent d’ordinaire à nous échapper.En nous apprenant à faire davantage attention (be careful) à certains aspects de nos vies ordinaires, le cinéma nous révèle une dimension de la vie morale historiquement ignorée par la tradition philosophique, à savoir celle du soin et de l’attention que nous devons aux autres, ce que l’on appelle désormais, en un emprunt à l’anglais, le care. Que la tâche de prendre soin des personnes en situation de dépendance (enfants, malades, personnes âgées, pauvres, etc.) ait été à la fois socialement et économiquement dévalorisée et réservée aux femmes renseigne déjà sur certaines des causes de l’oubli philosophique de cette dimension éthique : les philosophes ont en effet été essentiellement des hommes.Mais, de façon plus générale, c’est la voix des femmes que l’histoire n’a pas voulu écouter (et qu’elle a même refoulée), et il est caractéristique du cinéma américain étudié par Cavell qu’il permette de faire entendre cette voix. C’est notamment le cas des films étudiés par lui dans l’ouvrage La protestation des larmes qui porte sur un genre cousin de la comédie du remariage qu’il a appelé le « mélodrame de la femme inconnue » : bien avant la vogue actuelle du terme gaslighting, Cavell s’est ainsi penché, dès le premier chapitre de l’ouvrage, sur le film Gaslight (Cukor, 1944) à l’origine du concept qui cherche à décrire ce phénomène essentiel pour la domination masculine.

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