17 février 2023
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Mathilde Dargnat, « Lexique et discours: Thèse d'HDR », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.uw5xhp
Ce document synthétise et met en perspective les trois orientations des recherches que j’ai développées entre 2006 et 2022 et leurs impacts sur mes recherches actuelles.La première orientation concerne la manière dont la parole authentique est représentée en littérature, à l’instar de pratiques d’auteurs célèbres comme Dickens, Molière et beaucoup d’autres. Je me suis intéressée à une « stratégie » spécifique, celle de l’auteur québécois Michel Tremblay, qui a emprunté des traits phonétiques, syntaxiques et lexicaux au français populaire parlé à Montréal dans les années 1960, non seulement pour rendre compte de différences sociales entre ses personnages mais aussi pour structurer ses textes et produire des effets méta-représentationnels. L’étude repose sur une comparaison d’extraits des corpus Sankoff-Cedergren et Montréal 84 et sur cinq pièces de théâtre couvrant la période 1968-1998. Elle met en évidence des différences statistiques plus ou moins significatives entre les personnages, sur la base de traits jugés pertinents et représentatifs de la variété étudiée ; différences qui sont ensuite discutées en fonction de la structure des textes et de leur contexte social, idéologique et culturel de production.Le second champ de recherche concerne les relations de discours. Afin de montrer que l’étude de ces relations va au-delà d’une liste d’étiquettes indiquant la dépendance sémantique entre des segments de discours, j’ai choisi d’illustrer et de détailler trois cas. (1) D’abord, les constructions juxtaposées, c’est-à-dire les constructions ne présentant aucune marque lexicale de connexion entre les deux propositions. Je pointe en particulier la question des constructions pseudo-déclaratives et pseudo-impératives, en m’intéressant à certaines de leurs propriétés, telles que la non-compositionnalité et leur réalisation prosodique sous forme de patrons spécifiques. (2) Je rends compte et discute ensuite des travaux traitant de certaines relations argumentatives dans la perspective du TAL, en cherchant à mesurer l’alignement ou le non-alignement des relations de discours et des relations argumentatives dans des textes courts et comparables. Il en ressort que les résultats obtenus par les algorithmes utilisés sont parfois difficiles à interpréter en l’état et ne rendent pas forcément bien compte de la dimension et de l’organisation argumentatives effectives des textes. (3) Enfin, j’ai présenté quelques aspects de l’évolution diachronique longue de marqueurs discursifs à l’origine comparatifs, en montrant les différentes étapes du changement vers des valeurs causales et concessives.Le troisième et dernier domaine d’intérêt exposé concerne le statut sémantique des marqueurs discursifs (MD). L’objectif principal est de rapprocher un ensemble toujours grandissant d’études dans le domaine et de travaux plus généraux sur la stratification sémantique de l’information, en particulier sur la question des présuppositions, des implicatures et du contenu périphérique (side issues) dans le sens de Gutzmann & Turgay (2019). Je montre que la catégorie des MD, appréhendée dans un sens large, rassemble les expressions indexicales pertinentes pour l’interprétation du discours, que ce soit au niveau de son organisation logico-temporelle ou de la gestion des positions (stance) du locuteur (son état émotionnel, attentionnel ou son état de croyance, sa perception des événements dans la situation et son interaction avec les autres participants). Sur cette base, je distingue deux sous-catégories de MD : les connecteurs et les particules déictiques. Les connecteurs marquent une relation de discours entre des objets sémantiques auxquels ils renvoient (par exemple des actes illocutoires, des états de choses, des états de croyance, etc.) et semblent se comporter, pour certains, comme des déclencheurs de présupposition. Ils correspondent à des cas bien connus comme mais, parce que ou donc. Les particules renvoient à des événements externes ou internes (psychologiques), aux autres participants ou discours du locuteur lui-même (hésitations, corrections, reformulations, etc.). Ces particules se rapprochent des expressifs, dans le sens de Potts (2005, 2007), mais incluent aussi des éléments non expressifs. Elles sont avant tout fortement et obligatoirement ancrées dans la situation d’énonciation. Une partie récente de mes travaux porte sur les combinaisons de MD, dans une perspective cherchant à articuler leurs propriétés sémantiques, prosodiques et statistiques. J’en présente quelques résultats, notamment ceux qui utilisent les mesures d’association. Ce type d’approche est le centre du projet CODIM (Compositionality and Discourse Markers) par l’ANR et que je coordonne (https://www.codim-project.org/).