« Ah, oh, eh entre émotion, cognition et construction de l’interaction »

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11 avril 2024

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Sarah De Vogüé, « « Ah, oh, eh entre émotion, cognition et construction de l’interaction » », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.v6vu6k


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Résumé Fr

À l’analyse des interjections sont rattachés deux débats plus généraux, qui dans le cas de l’interjection prennent un relief particulier : -celui des relations entre cognition et émotion, et de la possibilité de les séparer dans l’analyse des faits langagiers : dira-t-on que les interjections relèvent fondamentalement de l’expression de l’émotion ? jusqu’à quel point peut-on ignorer la dimension cognitive dans ce que ces mots particuliers mettent en œuvre ? -celui de la façon dont la valeur des énoncés peut dépendre du contexte discursif dans lequel ils s’inscrivent, quelle que soit les modalités de cette dépendance, que ce soit parce que ce contexte déterminerait cette valeur ou parce que la valeur elle-même consisterait à opérer au sein de ce contexte, voire à l’élaborer : dira-t-on que les interjections plus que d’autres ont leur valeur qui dépend du contexte, par exemple parce que, dépourvues de sujet et d’objet, elles sont elliptiques (Brès) ? dira-t-on que leur sémantisme est « essentiellement procédural » (Fauré) visant d’abord à construire et modeler l’interaction en cours ?De fait les deux questions sont discutées dans la littérature sur les interjections, et il a été soutenu par divers auteurs que certaines en tous les cas ont une fonction cognitive au moins aussi importante que la valeur émotive (Caron-Pargue, Caron 2000), et qu’elles renvoient au moins autant à un comportement discursif qu’à l’expression d’affects (Barberis 1995).Notre proposition porte sur les seuls ah, oh, eh. Nous ne prétendons pas apporter de données nouvelles, et nous contentons de reprendre à la lumière de nos hypothèses les données tant orales qu’écrites qui ont pu être rassemblées dans les études précédentes. Nous inscrivant dans le cadre de la Théorie des Opérations Prédicatives et Énonciatives, nous voudrions mettre en évidence quatre propriétés qui permettent d’éclairer d’un jour un peu différent les interjections étudiées : -Par delà l’ancrage subjectif voire intersubjectif qui peut être celui de ces trois interjections (Fauré 1997,1999, 2000 ; Paillard, à paraître), elles ont aussi un ancrage que l’on peut dire objectif, dans la situation d’énonciation, via l’événement auquel le sujet réagit, événement qui peut être lui-même un dire, qui peut avoir été mentionné dans le dire qui précède, mais qui dans un cas comme dans l’autre reste un événement, et constitue ce à quoi l’interjection fait référence : de ce point de vue nous discuterons les analyses de Kleiber (2006) d’une part, de Paillard d’autre part, qui tendent à minimiser le rôle de cet événement l’un pour mettre en avant plutôt l’ancrage subjectif via le ressenti que l’interjection exprime, l’autre pour le rapporter dans tous les cas à une instance de dire, en relation avec ce qui est décrit comme la portée de l’interjection. -Étant donné cet événement, la différence entre les trois interjections ne tient pas seulement dans la façon dont se déploie l’interaction entre les locuteurs impliqués, façon dont on reprendra la description en relation avec les propositions de Fauré et Paillard. Elle tient aussi dans la forme propre qui est conférée à l’événement concerné : en particulier, en nous appuyant sur les différents modes d’articulation entre référence quantitative et qualitative développés dans le cadre de la TOPE (Culioli 1990, De Vogué 2014), on tentera de mettre en évidence une différence d’ordre aspectuel entre les trois interjections, avec ah rapporté à un mode compact de construction de la référence dans laquelle l’événement se trouve associé indépendamment de sa configuration quantitative à une détermination qualitative qui le circonscrit, oh rapporté à un mode discret dans lequel le quantitatif est en lui-même qualitativement circonscrit, et eh à un mode dense dans lequel l’extension quantitative se déploie sans bornage qualitatif. -Si ces trois interjections se définissent par ailleurs au travers de la façon dont elles affectent et déterminent chacune la forme de l’interaction dont elles sont partie prenante, cette forme donnée à l’interaction en cours peut s’analyser comme étant le développement de la structure aspectuelle de l’événement auquel l’interjection réagit : on reprendra de ce point de vue les analyses de Barberis (1995) qui montre que ce qui suit l’interjection se trouve « coloré, et surtout mis en tension »(p.98) par cette interjection ; et on reprendra aussi toutes les analyses qui soutiennent que l’interjection est au moins autant une affaire de simulation, de jeu, de pose, que d’affect : l’interjection relève bien du geste, un geste qui se manifeste sur le plan prosodique, mais aussi dans la gestuelle qui peut lui être associée (voir la description que Brès fait de la posture d’Olive disant oh à la vue d’un fantôme); si pour d’autres interjections on peut considérer que le geste est un geste volontiers surjoué, stéréotypé et culturellement marqué (Brès parle de carnaval, Barberis de parade), dans le cas de ah, oh, eh, le geste est d’une forme plus abstraite et générale, se laissant décrire à partir de paramètres intersubjectifs et aspectuels.-Le fait souvent noté que l’interjection soit souvent exclamative ne doit pas faire oublier qu’il est un autre champ d’emploi des interjections (Fauré 1999, Vladimerska 2016), dans lequel elles s’inscrivent dans le fil du discours, et où c’est de fait plus la dimension procédurale que l’expression d’affect qui se trouve être saillante. On proposera de rapporter ces deux usages de ah, oh, eh à deux modes de construction de la référence distingués au sein de la TOPE (Culioli 1990) – par repérage à un « attracteur » induisant le haut degré d’une part, par repérage à un « type » propre à fonder une catégorie sur la base de propriétés discriminantes face à l’extérieur. Cette différence vaut notamment lorsque l’interjection mobilise du qualitatif : c’est lorsque la qualité en jeu est rapportée à un attracteur, que l’on a exclamation et affect ; lorsqu’elle est rapportée à un type, c’est la dimension dialogique (Olivier 1986) qui est mise en avant, avec des réorientations du discours quand le sujet se pose dans le consensus ou le dissensus face à autrui.Ainsi, loin d’avoir des opérations langagières dévolues à l’expression des émotions, on se retrouve avec des gestes référentiels qui sont de fait mâtinés d’affects, mais n’en sont pas moins au cœur de la construction du discours.

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