6 juin 2024
Samy Bounoua, « Rompre la chaîne des temps. Réflexions sur les révolutions au XIXe siècle. Conclusion de la 5e édition des Rencontres du XIXe siècle », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.vkxzn3
Depuis le XIXe siècle, l’idée moderne de révolution suscite des regards paradoxaux. En 1850, dans Les luttes de classes en France, Karl Marx affirme que « les révolutions sont les locomotives de l’histoire », qui la rend imprévisible et chaotique. Toutefois, malgré son imprévisibilité, l’histoire révolutionnaire apparaît dans la métaphore marxienne comme étant, d'une certaine manière, déterminée : si les révolutions sont des locomotives, elles semblent placer les peuples sur des rails, ceux du progrès de l’égalité et de la liberté. Près d’un siècle plus tard, alors que la croyance au progrès s’est considérablement affaiblie, Walter Benjamin propose une autre interprétation du mouvement révolutionnaire. Dans ses Thèses sur le concept d’histoire (1940), la révolution n’est plus la locomotive de l’histoire, mais « l’acte, par l’humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d’urgence ». Dans cette optique, au lieu d’accélérer l’histoire, l’objectif est de mettre un terme à la course folle d’un progrès uniquement quantitatif, marqué par l’accumulation et concentration des richesses et du pouvoir. À ce progrès quantitatif est opposée la perspective messianique d’un peuple se libérant lui-même de l’oppression, suivant l’idéal kantien de sortie de la minorité. Les études des révolutions au XIXe siècle permettent de résoudre ce paradoxe apparent : la révolution est fondamentalement un moment de bifurcation, suscitant une accélération du cours des événements, car de multiples possibles s’ouvrent et sont expérimentés. Toutefois, la révolution suspend le temps du pouvoir et de la domination : les puissants, garants du progrès quantitatif et supposément maîtres de l’histoire, peuvent littéralement être arrêtés.