2022
Vincent Durand-Dastès et al., « L’enfer chinois est-il pavé de bonnes narrations ?: Les représentations visuelles de la traversée des cours des Dix rois dans la Chine impériale », HAL-SHS : histoire des religions, ID : 10670/1.vxrbua
Ce chapitre se demande en quoi la traversée des cours des Dix rois des enfers, promise en Chine aux défunts à partir du Xe siècle, peut s’apparenter à un récit, notamment dans les images qui la retracent. Dans les sūtras illustrés sur des rouleaux où se déroulait, littéralement, par le texte comme par l’image, ce que l’on peut appeler la « séquence des Dix rois », du moment du trépas à la réincarnation, le défunt était montré passant successivement par chacune des dix cours, autant d’étapes dont la temporalité était définie par un calendrier de célébrations rituelles destinées à l’accompagner dans cette traversée. Mais dès le Xe siècle, les images des Dix rois sont apparues sur d’autres supports que des rouleaux illustrés. Sculptées sur les parois de falaises ou peintes sur de la soie ou du papier, ces représentations pouvaient prendre des formes iconiques (les Dix rois siégeant autour d’un bodhisattva), séquentielles (les dix cours figurées individuellement), ou hybrides, rendant moins intuitive l’intégration de ces images au sein d’un récit. Certains indices permettent pourtant de supposer qu’elles ne furent jamais entièrement écartées d’une lecture narrative. Initialement séparée de la mythologie des Dix rois, l’histoire de Mulian, disciple du Bouddha qui descendit au plus profond des enfers pour en tirer sa mère pécheresse, apparaît dans les récits en images du périple infernal dès l’époque médiévale. L’introduction d’un véritable protagoniste dans le récit-premier, intégrait déjà, en l’enchâssant, une narration individualisée au sein d’un récit générique. En sus de l’histoire de Mulian, et dès le XIIe siècle, des séries de rouleaux verticaux des Dix rois que des prêtres accrochaient à l’occasion de leurs rituels pour les morts ajoutèrent de nouveaux enchâssements narratifs en figurant, sous les yeux de chacun des Dix rois, une scène empruntée au répertoire du théâtre. On peut comprendre ces enrichissements comme une volonté d’articuler plus étroitement la séquence infernale, désincarnée, avec des traversées des enfers singulières, les scènes enchâssées jouant le rôle d’une mise en abyme du parcours infernal.