20 novembre 2023
info:eu-repo/semantics/OpenAccess
Jean Gardy Levictorieux Estimé, « Dans le Schéma dialectique hégélien et l’Histoire universelle, y aurait-il quelque chose de l’Expérience révolutionnaire haïtienne à extirper de l’oubli ? », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.vzsn98
Le mouvement des esclaves de Saint-Domingue constitue, affirme Morss, une expérience jamais vue par le passé. Il demeure, à bien des égards, l'épreuve de feu des idéaux des Lumières, et par conséquent, supplante la révolution française dans l'application même de ces derniers (Susan Buck-Morss, 2009). Et Matthieu Renault n'en démord pas : « ''Que la liberté ne peut être accordée aux esclaves d'en haut'', ''que l'auto-libération de l'esclave est requise par une épreuve par la mort'', [tout] cela avait été montré dans l'acte de la révolution haïtienne » (Matthieu Renault, 2021). Les évènements révolutionnaires de Saint-Domingue ont eu, selon Buck-Morss par exemple, un impact non négligeable sur la dialectique hégélienne. On en retrouve également l'écho dans l'histoire occidentale des idées et dans l'histoire universelle en général, mise à part la contribution symbolique de cette révolution à la promotion des luttes abolitionnistes et antiracistes, notamment, les luttes d'indépendance de l'Amérique latine et des Caraïbes, celles de l'abolition de l'esclavage et du commerce des esclaves, etc. Notons d'ailleurs que Pierre Franklin Tavares notamment considère le schéma dialectique hégélien comme fondé sur la réalité historique déjà offerte par les évènements de Saint-Domingue presqu'à la même époque de la rédaction de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel. Mais Hegel feint d'ignorer cette dimension cruciale de l'expérience révolutionnaire des esclaves de Saint-Domingue. Et c'est à dessein que Morss s'interroge sur cette tentative de bâillonnement/effacement de cette prouesse haïtienne, et notamment, sur la coïncidence paradoxale des idéaux des Lumières jamais véritablement remises en cause. Alors, qu'est-ce qui fait que Hegel ne s'intéresse ni à la situation des esclaves de Saint-Domingue, ni à la révolution de ces esclaves, ni au succès de ce soulèvement contre leurs maîtres ? Pourquoi n'en tient-il pas compte même dans la conception de sa dialectique du maître et de l'esclave malgré son penchant affectif pour la révolution ? Si Hegel était contemporain de la révolution de Saint-Domingue, l'un des événements majeurs de la modernité, l'une des ruptures paradigmatique de l'ontologie des temps modernes par les esclaves, l'un des pôles opposés de la conception universelle de la liberté, prônée par les Lumières, comment at -il pu gommer dans ses considérations ce seul cas contemporain du renversement des rapports de force par les esclaves dont il se serait, d'ailleurs, inspiré ? se demande ironiquement Buck-Morss en déplorant avec Michel-Rolph Trouillot (Silencing the Past, 1995) le fait que la révolution haïtienne « entra dans l'histoire avec cette particularité qu'elle était impensable même lorsqu'elle se produisit »(Susan Buck-Morss, 2009).