Le tribunal du rire. L’Inquisition et la censure de la facétie dans l’Italie post-tridentine (vers 1550-1650)

Fiche du document

Date

2020

Discipline
Type de document
Périmètre
Langue
Identifiant
Collection

Cairn.info

Organisation

Cairn

Licence

Cairn




Citer ce document

François Lavie, « Le tribunal du rire. L’Inquisition et la censure de la facétie dans l’Italie post-tridentine (vers 1550-1650) », Revue historique, ID : 10670/1.w8xzgr


Métriques


Partage / Export

Résumé Fr En

Les récents travaux sur la censure inquisitoriale en Italie nous permettent de mieux cerner les évolutions religieuses et culturelles de la péninsule à l’âge de la Réforme catholique. L’historiographie a jusque-là concentré son attention sur l’édition religieuse et sur des genres littéraires à succès comme les recueils de nouvelles ( novellistica) . Le présent article s’intéresse à un genre éditorial rarement étudié sous l’angle de la censure, les recueils de facéties et bons mots ( facezie e motti). À partir des années 1550, l’Inquisition romaine s’engage dans une stratégie répressive où se mêlent la lutte contre l’hérésie protestante, l’inquiétude face à la profusion de textes en langue vernaculaire et l’influence d’un discours hostile aux œuvres de fiction. La vague de mises à l’ index des années 1550-1590 s’accompagne d’autres actions censoriales : contrôle de la librairie, séquestration ou destruction de livres, répression des mauvaises lectures. La documentation archivistique – au demeurant lacunaire – semble indiquer que cette censure préventive et répressive a été d’une sévérité toute relative à l’échelle de la péninsule. Le détour par l’histoire éditoriale de certains recueils suggère que d’autres modalités de censure (réécriture, autocensure, expurgation) ont eu un impact plus profond et durable sur la réception de l’humour en Italie. L’article développe l’exemple des Facetie del Piovano Arlotto et montre que la survie éditoriale du recueil s’est faite au prix d’une série d’expurgations qui ont grandement édulcoré le contenu du recueil. En l’espace de quelques décennies, la littérature italienne a été expurgée des plaisanteries jugées inconvenantes pour les « oreilles pieuses » des fidèles, obscènes, contraires aux bonnes mœurs ( contra bonos mores) ou irrespectueuses de la dignité du clergé, des cérémonies catholiques ou des Saintes Écritures. S’il est peut-être abusif d’affirmer, à l’instar de Peter Burke, que la culture comique de la Renaissance se « désintègre » entre 1550 et 1650 sous le coup d’une « offensive culturelle » de l’Église catholique, on peut toutefois observer une sévérité croissante du discours et de l’action censoriale des autorités romaines à l’égard des recueils de facéties, avec pour résultat un déplacement des frontières du comique. À partir du milieu du xvie siècle, l’Italie de la « Renaissance anticléricale » (Ottavia Niccoli) s’éteint à petit feu et laisse place à une Italie de la Réforme tridentine et cléricale où la norme religieuse et culturelle est de plus en plus dictée par l’Église. Dans le même temps, la fonction culturelle et idéologique de la facétie évolue : alors qu’elle constituait encore au milieu du xvie siècle un vecteur privilégié de la critique de l’Église romaine, elle est devenue un siècle plus tard un élément de conformité religieuse et culturelle, voire un outil d’acculturation aux principes moraux et disciplinaires de la Réforme tridentine.

Recent studies on ecclesiastical censorship in early-modern Italy have contributed to a better understanding of the religious and cultural evolutions of the peninsula during the Catholic Reformation. The historiography has mainly focused on religious publications and successful literary genres such as collections of comic novels (novellistica). This article deals with another editorial genre that has never been studied from this perspective: collections of jokes and witticisms (facezie e motti). From the 1550s onwards, the Inquisition adopted a repressive policy due to the repression of Protestant heresy, anxious feelings about the proliferation of texts in the vernacular and a hostile attitude towards works of fiction. This resulted in jestbook titles being put on several indexes of prohibited books between the 1550s and the 1590s, as well as other censorial measures: the control of print, book confiscations and destructions, and repression of illegal readings. However, archival documentation – lacunary as it is – seems to indicate that this preventive and repressive censorship was relatively moderate in the peninsula. When we look at the editorial history of some jestbook titles, it is obvious that other forms of censorship (rewriting, self-censorship, bowdlerizing) had a deeper and more lasting effect on the reception of humour in early-modern Italy. The article develops the example of the Facetie del Piovano Arlotto and states that the editorial survival of the book was made possible by a series of expurgations that seriously toned down its contents. Within a few decades, all the jokes that were considered improper to “pious ears”, obscene, contrary to good manners (contra bonos mores) or disrespectful of the dignity of clergy, catholic ceremonies or the Scriptures, disappeared from the Italian literature. Peter Burke’s statement about the “disintegration” of Renaissance comic culture under a “cultural offensive” led by the Catholic Church between 1550 and 1650 is probably a bit excessive. However, the Roman authorities were increasingly harsh in their discourse and censorial practices towards jestbooks, resulting in changes in what Burke calls the “frontiers of the comic”. The “anticlerical Renaissance” (Ottavia Niccoli) that was well alive until the mid-sixteenth century slowly died afterwards. In the wake of the Tridentine Reformation, the Church started to dictate the religious and cultural norms in the peninsula. The ideological function of humour changed in the same time: in the mid-sixteenth century, it was still a medium to criticize the Roman church; one century later, it had become an element of religious and cultural conformity, even a means of acculturating the laymen to the moral and disciplinary principles of the Catholic Reformation.

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Sur les mêmes disciplines

Exporter en