2022
Cairn
Charly Pellarin, « « Deux millions de Parisiens tenant deux millions de verres noircis » : L’éclipse totale de soleil du 17 avril 1912, un événement médiatique », Sociétés & Représentations, ID : 10670/1.wh3074
À la fin du xixe siècle, et plus particulièrement après 1900, les éclipses deviennent de plus en plus massives, tant par le public qu’elles réunissent que par le bruit qu’elles génèrent dans la presse. En cela, elles nous permettent d’éclairer l’émergence d’une culture de l’événement. L’éclipse de 1912, visible à Paris, provoque une véritable hypertrophie médiatique et fait la une des plus grands titres, le plus souvent au détriment du naufrage du Titanic. Aussi, différents pouvoirs – la République, la presse et la science – investissent de concours cet événement pour faire valoir différents intérêts qui leur sont propres. L’éclipse est notamment l’occasion de célébrer les œuvres républicaines – l’instruction des masses, la démocratisation des loisirs – mais aussi de (ré)affirmer le rôle de la science au sein de la société. La presse à grand tirage y trouve aussi un intérêt commercial, ce qui explique la façon dont celle-ci s’attache à « fabriquer » l’événement. Car c’est bien la diffusion d’un discours médiatique récurrent qui permet de rassembler et de fédérer, en somme de créer cet événement autour de valeurs et de symboles communs. Tout cela montre combien la presse a une emprise sur le quotidien des Français et sur la circulation de l’information, mais aussi qu’elle assure un rôle de tribune pour des discours de légitimation des pouvoirs. C’est en manipulant divers éléments de l’imaginaire social des éclipses, dans une poétique journalistique moderne, que celle-ci parvient à forger un consensus médiatique, une doxa – symptomatique de ce que Géraldine Muhlmann appelle le « journalisme de rassemblement ». Cependant, en contextualisant les poétiques médiatiques et les ensembles discursifs, en croisant les différents types de sources, tout en bénéficiant de la plurivocité du paysage médiatique, on constate que cette doxa est bien souvent déconnectée de la réalité des pratiques, en somme des expériences vécues. La mise en lumière de ces décalages permet de dégager les enjeux qui sous-tendent la promotion et les multiples récupérations de tels événements. En somme, cet article s’attache à décrypter les enjeux des mystifications dont l’éclipse fait l’objet, à une période où elles réunissent un public sans précédent.